Dictionnaire Biblique de Top Bible

PROPHÈTE 6.

VI Les trois grands siècles de la prophétie.

Nous avons vu ce qu'était le milieu d'où le prophétisme est sorti et les deux mobiles de l'action des prophètes jéhovistes : la vocation et le patriotisme. Il nous faut maintenant examiner cette action elle-même dans le développement synthétique que nous présentent leurs écrits.

Avec les VIII e, VII e et VI e siècle av. J. -C, nous entrons dans une nouvelle période de l'activité des prophètes. Plus de massacres, plus de miracles. L'homme de Dieu se mêle sans doute encore à la vie politique de son peuple, mais c'est en exerçant sur lui une action purement morale et religieuse. Il parle et il écrit. Le rôle des prophètes comme écrivains a certainement été plus considérable qu'on ne le pense généralement. Déjà l'histoire sainte jéhoviste rédigée au IX e siècle appartenait au milieu des prophètes. La littérature deutéronomistique porte aussi le cachet de l'esprit prophétique. Le fait que les Chroniques nomment toute une série de prophètes comme ayant contribué aux annales d'Israël doit être pris aussi en considération. On ne prête qu'aux riches. L'important, pour ce qui nous concerne ici, c'est que le ministère des principaux hommes de l'Esprit a été consigné dans des ouvrages qu'ils écrivirent eux-mêmes, ou qu'ils firent rédiger par leurs disciples. Ce point est de grande conséquence pour nous, parce qu'il nous permet de prendre directement contact avec la pensée et l'action des chefs spirituels d'Israël. L'équivoque n'est plus possible, parce que nous ne sommes plus réduits à nous en remettre, pour eux, à la représentation d'historiens dont nous ignorerions les sources et la mentalité. Ces prophètes écrivains sont à eux-mêmes leurs témoins. Ce qui fait la valeur capitale de ces résumés de discours que l'on peut comparer pour leur composition aux sourates du Coran, c'est qu'ils sont l'héritage d'individualités comme le monde antique n'en connut ni dans l'Orient, ni en Grèce, ni à Rome, et qui se sont pressées dans l'espace de deux siècles, animées d'une même passion, éclairées d'un même esprit, se succédant les unes aux autres, apprenant les unes des autres et portant, par une évolution d'une rapidité foudroyante, la religion de l'élite d'Israël à une hauteur où elle atteignit à la clarté définitive de l'Évangile.

Par leurs ouvrages, écrits par eux ou par leurs disciples immédiats, nous pouvons savoir avec la plus grande précision ce qu'ils demandaient à leurs auditeurs, ce qu'ils supposaient connu des adorateurs de Jéhovah, quel fut le développement de leur théologie et comment ils se représentaient l'avenir religieux d'Israël.

On tient volontiers aujourd'hui pour démontré dans les milieux de la critique avancée que les prophètes des VIII e, VII° et VI e siècles--siècles classiques du prophétisme--furent les initiateurs du jéhovisme dans ses principes fondamentaux : moralisme, monothéisme, spiritualisme, universalisme. Cette conclusion répond admirablement aux prémisses de critiques qui conçoivent Jéhovah comme une divinité naturiste et qui pensent pouvoir expliquer l'histoire la moins naturelle du monde, celle d'Israël, avec les seules ressources ordinaires de l'évolution humaine. Mais la question est de savoir si cette conclusion correspond à l'attitude des prophètes qui nous ont laissé des écrits et dont nous avons, d'après ces écrits, à caractériser l'initiative.

1.

L'ACCUSATION.

Les quatre grands prophètes du VIII° siècle, Amos, Osée, Ésaïe et Michée, entrent en scène de la même façon. Ils se présentent, non en révélateurs, mais en accusateurs. Leurs discours sont des réquisitoires. Que reprochaient-ils à Israël ? D'avoir violé la justice. La justice ! On en parlait quelquefois dans les sociétés primitives, mais on ne l'apercevait que partiellement ; elle y était facultative et dépendait, dans le principe, du bon plaisir des rois. Plus tard, en Grèce et à Rome, on disserta sur la justice, on dit à son sujet des choses admirables. Mais tout cela était théorique et présenté parfois comme un idéal irréalisable ; le philosophe qui l'exaltait n'exigeait pas qu'elle fût accomplie au prix de n'importe quel sacrifice. Il y avait toujours des accommodements. Quand l'intérêt de la patrie était en jeu, son salut ou sa grandeur, c'était l'injustice que l'on glorifiait. Les Stoïciens eux-mêmes, qui proclamaient la fraternité de tous les hommes et voulaient que le Sage fût citoyen du monde, n'ont jamais, pas même lorsqu'ils tenaient le sceptre avec Marc-Aurèle, essayé d'établir une justice unique pour l'esclave et pour l'homme libre, pour le barbare et pour le civis romanus. Et voici que, soudain, dans les milieux gréco-romains, une société nouvelle parut, qui étonna le monde parce qu'elle avait pour loi la justice impérieuse, la même justice pour tous (Mt 23:8,12, Lu 22:25, Col 3:11), la justice du sermon sur la montagne (Mt 5-7). « Que s'est-il donc passé ? », écrit à ce sujet H. Bergson (Les deux sources de la Morale et de la Religion, p. 75). « Comment la justice a-t-elle émergé de la vie sociale à laquelle elle était vaguement intérieure, pour planer au-dessus d'elle et plus haut que tout, catégorique et transcendante ? Rappelons-nous le ton et l'accent des prophètes d'Israël. C'est leur voix même que nous entendons quand une grande injustice a été commise ou admise. Du fond des siècles, ils élèvent leur protestation. »

Amos : De Sion, Jéhovah rugit... Ainsi parle Jéhovah :

A cause de trois crimes de Juda, même de quatre, Je ne révoque pas mon arrêt... J'enverrai le feu dans Juda... A cause de trois crimes d'Israël, même de quatre, Je ne révoque pas mon arrêt... Voici, je vous écraserai, Comme écrase un chariot rempli de gerbes. (Am 1:2 2:4,5,6,13)

Osée : Écoutez Jéhovah, enfants d'Israël, Car Jéhovah a un procès Avec les habitants du pays... Puisque tu as oublié la loi de ton Dieu, Je te rejetterai (Os 4:1-6).

Esaïe : Cieux, écoutez ; terre, prête l'oreille, Car Jéhovah parle : J'ai nourri, j'ai élevé des enfants. Mais ils se sont révoltés contre moi... Cessez de faire le mal... Puis, venez et plaidons, dit Jéhovah (Esa 1:2,16,18).

Michée :

Ecoutez ce que dit Jéhovah,

Lève-toi, plaidons devant les montagnes !

Écoutez, montagnes, le procès de Jéhovah,

Car Jéhovah a un procès avec son peuple...

Ses habitants profèrent le mensonge...

C'est pourquoi je te frapperai par la souffrance,

Je te ravagerai à cause de tes péchés (Mic 6:1,2,12,13).

Toute cause au tribunal, même dans la chétive justice humaine, suppose que l'inculpé connaît le plaignant et sait quelle est la violation de contrat individuel ou social qui lui vaut sa peine. Quand il s'agit du procès de Dieu mené par les personnalités morales dont les siècles rediront la grandeur unique dans l'ordre de la justice, on peut considérer que cette condition d'équité a été respectée.

2.

LE CONTRAT VIOLÉ.

Quel est donc le contrat qu'Israël a connu et transgressé ? l'alliance qu'il a violée ? (Os 6:7 8:1,12) Cette loi, Amos en parle explicitement (Am 2:4) dans une strophe que la critique avancée tient pour une interpolation parce qu'elle ne cadre pas avec sa conception religieuse du jéhovisme, mais que rien n'oblige à supprimer, que tout, au contraire, invite à maintenir, pour la bonne raison qu'il serait fort étrange qu'Amos le Judéen, qui vient de déclarer que Jéhovah rugit de Sion, passe sous silence les fautes de sa patrie, dépositaire de la Loi, et les menaces contre Jérusalem. Osée s'y réfère aussi (Os 4:1 6:6 8:1) dans son premier discours, où il met en avant une formule qu'il affectionne : la « connaissance de Jéhovah » ou, ailleurs, « connaître Jéhovah », formules qui, dans sa bouche, n'ont pas trait seulement à la science intellectuelle, mais en premier lieu à l'expérience religieuse, à la morale pratique (Os 4:1-6 5:4 6:3-6 8:2 13:4). Cette loi, qu'Israël connaît, serait-ce le décalogue de Ex 34 rapporté par l'écrivain jéhoviste--le seul dont la critique avancée admette l'existence avant le VIII e siècle ? Mais s'imagine-t-on que la révolution opérée par Moïse se serait contentée d'un tel fondement, d'une brève liste de prescriptions cultuelles, qui sont précisément ce que le mosaïsme a de plus commun avec les religions des autres peuples ? Y avait-il là de quoi surprendre, émouvoir, retourner le peuple d'Israël, et engager le combat moral où il va se débattre pendant des siècles, porteur de la religion du vrai Dieu ? Était-ce là ce qui pouvait lui donner la « connaissance de Jéhovah » et justifier les diatribes enflammées d'Amos et d'Osée ? Aussi bien, il suffit de relire attentivement ces deux prophètes pour se rendre compte qu'ils ne font aucune allusion à ce décalogue-là ; il ne les intéresse pas, étant précisément l'élément du culte jéhovique par lequel celui-ci voisine le plus dangereusement avec les cultes idolâtres : fêtes de moissons, sacrifices de bétail, offrande des prémices des récoltes, autant de formes d'adoration qui pouvaient indifféremment servir pour honorer Jéhovah ou les Baals primitifs de la terre cananéenne. Les pratiques extérieures et les formes rituelles ont déjà fait tant de mal à Israël, l'ont déjà si souvent induit à éluder les exigences véritables de la religion de Jéhovah, qu'Amos et Osée vont jusqu'à s'emporter contre elles :

Amos :

Je hais, je méprise vos fêtes,

Je ne puis sentir vos assemblées.

Quand vous me présentez des holocaustes et des offrandes,

Je n'y prends aucun plaisir. (Am 5:21,22, cf. Esa 1).

Osée : Ephraïm a multiplié ses autels pour pécher, Et ses autels l'ont fait tomber dans le péché. Que j'écrive pour lui toutes les ordonnances de ma loi, Elles sont regardées comme une chose étrangère. Ils immolent des victimes qu'ils m'offrent... Jéhovah n'y prend point de plaisir (Os 8:11,13).

Amos va jusqu'à dire que tout ce cérémonial ne faisait pas partie du mosaïsme authentique :

M'avez-vous fait des sacrifices et des offrandes Pendant les quarante ans du désert, Maison d'Israël ?

(Am 5:25, cf. Esa 1:11-15, Mic 6:8, Ps 50:7-15, Jer 7:22).

Quel est donc, pour Amos et Osée, le contrat dont la violation dans la suite des générations passées va entraîner maintenant le châtiment et la ruine d'Israël ? L'alliance morale. En même temps qu'il déclare vain et d'institution humaine le culte rituel, Amos s'écrie :

Que la droiture soit comme un courant d'eau

Et la justice comme un torrent intarissable ! (Am 5:24)

Et cette déclaration est le leit-motiv de toute sa prédication.

Il n'y a que parjure et mensonge,

Assassinat, vol, adultère ;

On use de violence... (Os 4:2)

Dans ce passage qui introduit le ministère d'Osée, chaque terme vise un des commandements moraux du Décalogue de Ex 20 et de De 5. S'il y a une thora (=loi) dont l'existence et la valeur fondamentale pour la religion de Jéhovah soient démontrées par les allusions des deux premiers prophètes écrivains, c'est à coup sûr cette thora du Sinaï dont on nous dit aujourd'hui qu'elle ne fut que l'écho affaibli de la voix des prophètes des VIII° et VII e siècles.

Osée, qui suit Amos, va plus profond que lui. Après avoir dénoncé comme lui l'immoralité d'Israël, sa transgression du Décalogue, comme motif de sa condamnation et source de sa ruine, il fouille dans l'âme de l'Israélite et découvre la raison profonde de cette infidélité : une transgression intime, le mépris d'un commandement sur lequel tous les autres commandements s'appuient et sans lequel tous perdent leur force et s'écroulent : le commandement de l'amour. Trahi par sa femme (Os 1-3), dont les débordements sont venus de ce qu'elle n'aimait plus son mari, Osée dénonce à la nation élue son infidélité initiale :

Mon peuple consulte son idole de bois,

Et son bâton lui donne des avis !

Car l'esprit de prostitution les égare,

Et ils se prostituent loin de leur Dieu...

Insensé, le peuple court à sa perte !

Que te ferai-je, Ephraïm ?

Que te ferai-je, Juda ?

Votre amour est comme le brouillard du matin,

Comme la rosée qui bientôt se dissipe !

Malheur à eux,

Parce qu'ils m'ont fui !

Ruine sur eux,

Parce qu'ils m'ont trahi ! (Os 4:12-14 6:4 7:13)

Comparant la nation infidèle à une épouse adultère, à une mère dénaturée, Jéhovah dit par la bouche d'Osée :

Je la châtierai pour les jours où elle encensait les Baals, où elle allait après ses amants et m'oubliait ! Je veux l'attirer et la conduire au désert et je parlerai à son coeur... Et elle chantera comme au temps de sa jeunesse (Os 2:13,15).

Quand donc, et par le moyen de qui, le contrat d'amour entre Jéhovah et la nation élue avait-il été conclu ? Osée le rappelle avec précision à ses contemporains : ce fut le jour où Jéhovah fit sortir Israël du pays d'Egypte, maison de servitude (Os 11:1 2:17 13:4, cf. De 5:6), et le confia à Moïse. Par un prophète, Jéhovah

Fit monter Israël hors d'Egypte ;

Et par un prophète, Israël fut gardé (Os 12:14).

Osée vient de rappeler que Jacob était berger (Os 12:13). Il transporte l'image sur Moïse, qu'il présente ici comme le berger envoyé par Jéhovah à Israël pour le protéger et le conduire au pâturage.

Une étude objective des discours d'Amos et d'Osée--nous n'appelons ici en cause que ces deux premiers porte-parole de Jéhovah au VIII° siècle, parce que, de leur temps, notre livre actuel du Deutéronome n'existait pas--amène irrésistiblement à la conclusion que non seulement le Décalogue d'Ex 20 et de De 5 existait déjà sous sa forme primitive, mais aussi que le commandement « Tu aimeras l'Éternel ton Dieu... » (De 6:5), donné plus tard par Jésus comme le principe de toute la législation jéhovique, faisait partie de la révélation mosaïque.

Un siècle avant Osée, Israël, en rupture de contrat, courait après ses amants les Baals, divinités cananéennes auxquelles il attribuait le pouvoir de féconder le sol et de donner des récoltes abondantes. Élie se dresse au nom de l'alliance violée et obtient de Jéhovah le pouvoir de faire un exemple : à la parole de l'homme de Dieu, la sécheresse s'étend sur le pays et le désole par la famine. A sa parole, la pluie tombe de nouveau et la terre est fécondée (1Ro 17 et 18). Terrible leçon et révélation inattendue pour les contemporains du prophète qui avaient bien cru jusque-là que Jéhovah était leur dieu national, le dieu de leurs guerres et de leurs victoires, mais qui n'avaient pas cessé d'attribuer aux Baals de Canaan, politiquement dépossédés par Jéhovah, le pouvoir de féconder le sol qui leur appartenait dès les temps antiques. Le triomphe d'Elie et le massacre des prophètes du Baal phénicien introduits en Israël par Jézabel ne suffisent pas à ramener la nation élue à la fidélité à Jéhovah. Elle continue, par son adultère, de marcher à sa perte. C'est là ce que le prophète Osée rappelle dans son discours inaugural. Parlant des générations qui l'entourent, il dit :

Leur mère s'est prostituée, déshonorée, car elle a dit : J'irai après mes amants, qui me donneront mon pain et mon eau, ma laine et mon lin, mon huile et mon breuvage. Elle n'a pas reconnu que c'était moi qui lui donnais le blé, le moût et l'huile ; et l'on a consacré au service de Baal l'argent et l'or que je lui prodiguais (Os 2:5,8).

Osée, en nous expliquant l'acte d'Elie, témoigne que déjà, pour le prophète du IX e siècle, la faute de la nation élue était d'avoir trahi l'amour conjugal qui la liait à Jéhovah, le Dieu du Sinaï, le Dieu jaloux de la jalousie qu'éprouve un époux à l'égard de celle qui lui a engagé sa foi. C'est aussi le contrat moral du Sinaï qui explique l'attitude intransigeante d'Élie vis-à-vis d'Achab à l'occasion de la vigne de Naboth. Les confiscations, les meurtres, les compromissions judiciaires étaient d'usage courant chez les potentats dans le milieu où vivait Israël. En tout autre pays, la menace d'un censeur comme Elie à l'égard d'un monarque heureux, puissant et énergique comme Achab, eût paru simplement un crime de lèse-majesté ; on l'eût puni de mort. Mais ici, nous n'avons ni un monarque, ni un censeur ordinaires. Le monarque est l'oint de Jéhovah, le censeur est le prophète de Jéhovah ; l'un et l'autre connaissent les exigences du contrat sinaïtique ; ils savent'que tout effort moral aidant la justice est à l'honneur du Dieu qui a choisi Israël pour peuple.

Comme Élie fait pressentir Michée de Jimla (1Ro 22:1,28) et Amos de Thékoa, dans sa notion de la justice, il continue la tradition de son prédécesseur Ahija de Silo, qui provoque le schisme pour venger l'honneur de Jéhovah trahi par Salomon (1Ro 11:29,33), et Ahija continue Nathan reprochant à David d'avoir fait mourir son serviteur Urie pour pouvoir posséder sa femme (2Sa 12). Partout ailleurs qu'en Israël, un enlèvement comme celui-là n'aurait soulevé aucune surprise. Quidquid délirant reges..., mais ici il y a le contrat du Sinaï, la foi jurée ; c'est tout le passé contractuel qui se lève en témoignage dans cette parole par laquelle Jéhovah caractérise l'acte de David : « Tu m'as méprisé » (2Sa 12:10). Le vieux récit nous fait assister à une scène qui en dit long au sujet de l'emprise morale que Jéhovah avait sur son peuple à cette époque : l'illustre monarque chargé de gloire et parvenu au faîte de la puissance s'humilie devant le prophète et s'abîme dans le plus profond des repentirs. Nous rejoignons ici le XI e siècle où nous avons rencontré Samuel le prophète qui disait : « L'obéissance vaut mieux que les sacrifices... Jéhovah regarde au coeur » (1Sa 15:22 16:7). Avant lui, un homme de Dieu s'était levé pour déclarer au prêtre Héli de Silo : « J'honore qui m'honore, et celui qui me méprise sera méprisé » (1Sa 2:30). Le prophète, homme de réaction contre la religion relâchée où le culte n'exprime plus le contrat moral avec Jéhovah, apparaît ici pour la première fois (1Sa 2:22,25), aux derniers jours du temps des Juges.

Du temps des Juges, qui dura de 100 à 130 ans, nous ne savons que peu de chose, sinon que « la parole de Jéhovah était rare » (1Sa 3:1). Les événements qui se déroulent à cette époque montrent assez que ce fut un temps d'anarchie qui ne justifia que trop les appréhensions du vieillard Josué (Jos 24). La critique avancée ne fait pas une bonne presse à Josué et à ses conquêtes. Il est certain que la comparaison du livre de Josué (voir Josué) avec les premiers chapitres du livre suivant commande les plus grandes réserves sur la façon dont certains des documents qui le composent présentent l'établissement des Israélites dans la Terre Promise. Mais ce livre renferme des pages qui proviennent des plus vieilles annales hébraïques. Celles-là, du moins, devraient épargner à Josué le soupçon qu'il n'a peut-être jamais existé. De ces traditions anciennes rapportées par l'Écrit prophétique JE, et qui ne sont antérieures aux auteurs de JE que de deux siècles et demi à trois siècles, nous ne retiendrons ici que le renouvellement de l'alliance à Sichem. Josué, que JE nous présente comme le lieutenant de Moïse, le jeune homme qui, attaché au service de la Tente des rendez-vous de Jéhovah, vécut avec son maître les grandes heures du jéhovisme pendant le séjour au désert, a eu la lourde charge de succéder à Moïse. Il a entrepris l'installation des premières tribus sur la terre de Canaan, terre de vieille civilisation, toute pervertie par le culte sensuel de ses Baals. Au désert, il s'était rendu compte des exigences morales de Jéhovah et du terrible jugement que celui-ci exerçait contre les Israélites infidèles. En Canaan, il mesure les tentations que son peuple encore tout débandé va rencontrer sur une terre riche et peuplée de divinités naturistes. Il sait que les Israélites qui n'ont connu Jéhovah qu'au désert--et que Jéhovah ramènera au désert s'ils le trahissent et s'ils ont besoin de se retrouver face à face avec lui loin de toute séduction de prospérité pour rétablir avec lui l'alliance primitive (cf. Os 2:16 12:10 13:4) --vont avoir comme instructeurs, dans la culture du sol et dans le commerce, des populations qui leur transmettront les usages séculaires de leur agriculture, tous rattachés à l'adoration des Baals régionaux ou locaux, dont la protection immémoriale assure la fécondité du sol. Il prévoit que les Hébreux seront amenés immanquablement à faire deux parts dans leur culte, à unir deux religions : celle du Jéhovah national, le Dieu des armées victorieuses, et celle des Baals cananéens, pourvoyeurs des biens de la campagne. Cette dualité serait leur perte, car Jéhovah est un « Dieu jaloux » qui a dit : « Tu n'auras point d'autres dieux devant ma face. » Avant de déposer le pouvoir qu'il tient de Jéhovah, Josué veut placer Israël en présence de la situation tragique où les circonstances le mettent, et il convoque une grande assemblée à Sichem. Là, sous l'arbre rendu sacré par les autels d'Abraham et de Jacob (Ge 12:6 35:4, cf. De 11:26-32 27:1-14), il demande aux tribus d'Israël si elles se sentent la force et si elles ont le vouloir de confirmer le contrat du Sinaï et de maintenir pour leur seul Dieu : Jéhovah. L'importance de cette scène et de l'alternative qu'elle comporte n'a pas été assez aperçue. Quels que soient les remaniements deutéronomiques que l'on veut voir dans ce récit, on n'en saurait supprimer la question : Quel Dieu voulez-vous servir ? Cette question fait du jéhovisme un drame de liberté. Instruit par les premières épreuves de son commerce avec Jéhovah, Israël, à Sichem, renouvelle volontairement son alliance avec lui. Il s'offre librement à son Dieu qui fera sur lui l'expérience humaine de la régénération. Il n'a pas été pris en traître ; conscient de ce que coûte la désobéissance aux ordres de Jéhovah, il s'avance avec une confiance tenace vers les grands coups que le « divin sculpteur de l'âme » devra donner pour ciseler dans l'humanité de la chute une image à la ressemblance de Dieu. Il bronchera, il tombera, mais l'oeuvre s'accomplira. Par une série d'éliminations successives se dégagera peu à peu de la masse charnelle l'homme spirituel, l'Homme-Dieu. Cette nouvelle création a pour point de départ le contrat du Sinaï ratifié à Sichem, et pour ouvriers les prophètes. Sans ce contrat, Israël n'eût eu aucune raison de connaître un autre destin que celui des peuples de sa race, Édom ou Moab. Sans ce contrat, la réaction des voyants jéhovistes, de Samuel à Amos, ne se comprendrait pas. Si les premiers prophètes du VIII° siècle n'avaient pu s'en référer à lui, justifier par lui la sévérité de leur verdict, ce verdict, au lieu d'être drastique pour l'élite du peuple, n'eût pas manifesté plus d'équité que tant de verdicts où la justice humaine demande du coupable plus qu'elle ne serait en droit d'exiger de lui. Et les fervents jéhovistes groupés autour des prophètes, au lieu de considérer les malheurs de leur race comme le salutaire châtiment du Père céleste, n'auraient vu dans leur nation ruinée et déportée qu'une victime de l'arbitraire divin, semblable à celles dont Homère dans l'Iliade nous fournit d'abondants exemples. Le jéhovisme rédempteur inauguré par Amos et Osée eût été écrasé dans l'oeuf.

3.

LE DIEU OFFENSÉ.

(a) LES ORIGINES DE SON CULTE. Les prophètes ne se contentent pas de nommer Jéhovah comme la divinité offensée par la violation du contrat. Ils tiennent dans leurs discours pour un fait établi, une réalité hors de discussion, que Jéhovah avait le droit moral de punir Israël à cause de la violation du contrat. D'où lui venait ce droit ? Les plus vieux documents de la Bible nous l'expliquent en mettant en avant deux noms : Abraham et Moïse. Dans le premier cas, il s'agit d'un homme qui a dû quitter sa patrie et ses divinités patronales. Nous pouvons nous le représenter démoralisé, désorienté, mais de personnalité assez puissante et assez haute pour ne pas prendre son parti de sa destinée, et capable, si une voie s'ouvre devant lui, d'y entrer résolument et de refaire sa vie. Dieu l'appelle, se propose à sa foi sous la forme de l'élohim protecteur qui l'accompagnera et le bénira s'il se fie à lui avec intégrité. Abraham entreprend la marche par la foi ; les bénédictions de son élohim l'affermissent dans la certitude que son Dieu est puissant et bon. Il forme sa famille dans l'adoration du dieu puissant, El-Chaddaï. Par la grâce d'El-Chaddaï, la tribu des Abrahamides est sauvée de la famine et séjourne en Egypte dans une terre favorable.

Au bout de quelques siècles, Israël est de nouveau menacé de disparaître, non par la famine, mais par le massacre systématique ordonné par un pharaon. Et voici Moïse sauvé des eaux, élevé à la cour, compromis par son patriotisme, forcé de chercher son salut dans l'exil. Le voilà, comme Abraham, jeté hors de sa voie et méditant dans le désert madianite sur l'énigme de sa destinée. Il a du génie--la suite le prouvera--, il a des connaissances et un courage qui désignent en lui un chef. El-Chaddaï l'appelle et se révèle à lui comme le Dieu vivant--Jéhovah--capable de libérer ses tribus esclaves et d'en faire une grande nation si elles acceptent de marcher par la foi dans le désert et de constituer à sa voix un peuple de franche volonté. Moïse recule d'abord devant la tâche, puis accepte. Il eût pu dire alors comme plus tard Jérémie : « Jéhovah, tu m'as saisi, tu m'as vaincu ! » Le peuple est subjugué par l'ascendant du chef qui lui parle au nom du dieu des pères ; il tressaille à l'espoir que les promesses faites à Abraham vont enfin s'accomplir ; la délivrance au passage de la mer Rouge achève de le mettre dans les dispositions voulues pour accepter le contrat du Sinaï. Quand Jéhovah donne à Moïse les ordres qui devaient moraliser son peuple, et par ce peuple l'humanité, il a acquis par des grâces accordées de génération en génération le droit moral de commander à des hommes libres. Au Sinaï, la religion du vrai Dieu s'impose à la conscience humaine et entre dans l'histoire.

La façon dont le plus vieux document biblique raconte les origines du culte de Jéhovah présente des caractères qui le recommandent à toute notre attention, (1) Le témoignage primitif qu'il apporte est confirmé par tous les récits, par ailleurs fort divers, de l'histoire hébraïque. Les écrivains deuté-ronomistes, qui développent les anciens textes et leur donnent un caractère parénétique, les écrivains sacerdotaux, dont les conceptions sur d'autres points diffèrent absolument de la conception de JE, sont unanimes pour déclarer que la religion d'Israël a eu comme initiateurs deux hommes appelés de Dieu : Abraham l'ancêtre, Moïse le législateur. (2) Le mouvement religieux qui, dans ces deux étapes, a inauguré la reprise des rapports de Dieu avec l'homme, s'est produit, d'après le récit de JE, dans des conditions psychologiques auxquelles, certes, nos écrivains antiques étaient loin de songer, mais qui se trouvent être précisément les conditions par lesquelles, d'après la pensée chrétienne de notre temps, s'est constamment développé à travers les siècles le progrès spirituel de la société des croyants. A l'origine de tous les réveils de la pensée ou de l'action : un homme, une personnalité donnant l'impulsion, non de son initiative, mais parce que, de son propre aveu, Dieu l'a arrêtée sur le chemin, illuminée, convertie et contrainte de tout quitter pour entrer par la foi dans une voie nouvelle et délivrer à son entourage un message nouveau. « Dieu ne se révèle pas par des choses, par des objets sacrés, mais par des hommes, par des âmes consacrées » (Wilf. Monod). Tous ceux qui firent, en quelque temps que ce soit et à un degré quelconque, l'expérience divine, font partie de cette chaîne vivante des porte-flambeaux de Dieu. Ils sont légion et conduisent l'évolution spirituelle du monde. Parmi eux, Vinet, Wesley, Calvin, Luther, François d'Assise, Augustin, Paul, Jérémie, Moïse et, tout au fond, tel un sommet trop éloigné pour que les regards puissent en discerner les contours, mais dont une lueur montre la cime : Abraham, le père des croyants. Que les auteurs de nos premiers récits bibliques, au lieu de placer la théophanie originelle dans des circonstances extérieures, prodiges physiques frappant les foules et les courbant dans l'adoration, l'aient énoncée comme un drame intérieur dans une conscience d'homme, un acte d'obéissance, voilà qui montre qu'ils avaient bien vu et qui leur donne du crédit. Cent ans au moins avant la grande époque du prophétisme, dans le milieu cananéen où le paganisme étalait ce qu'il a de plus grossier et de plus sensuel, n'ayant à l'horizon que les cultes des grands empires qui imposaient par leurs temples, leurs statues, leur sacerdoce et leurs devins, les écrivains de JE savaient que la religion jéhoviste n'avait pas pris sa source dans les superstitions naturistes ni dans les opérations magiques, mais qu'elle avait été une initiative de Dieu et qu'elle avait pris conscience d'elle-même dans les rapports moraux de la personne divine avec la personne humaine ; rapports où se forma dans l'humanité de la Chute un premier germe de vie spirituelle. Quel qu'ait été le caractère rudimentaire des connaissances de ces Hébreux qui fixèrent la tradition primitive de leur peuple, et quelque naïves que puissent nous paraître leurs conceptions, les constatations que nous venons de faire suffisent pour interdire qu'on les confonde avec la foule des chroniqueurs antiques. Par leur orientation, ils appartiennent à une autre humanité : l'humanité qui a intégré la révélation dans l'histoire.

La science moderne, avec son merveilleux apport de connaissances nouvelles d'ordre archéologique, ethnique et géographique, ne pouvait pas ne pas exercer une influence profonde sur l'étude de l'Ancien Testament. Elle a pensé pouvoir expliquer par ses découvertes, non seulement l'histoire politique d'Israël, mais aussi son histoire religieuse. Toute une école de critiques s'est constituée, dont le propos est de situer « la Bible elle-même » sur le plan de l'histoire universelle (S.A. Cook).

A bien des égards, nous n'avons qu'à nous louer de son effort. La résurrection des anciens peuples du moyen Orient nous a appris à mieux connaître le milieu de la Bible, à mieux apprécier la valeur documentaire de l'Ancien Testament. L'étude des cultes primitifs, magiques ou naturistes, des religions sumérienne, babylonienne, assyrienne, égyptienne, égéenne, hittite et autres nous a donné une compréhension plus grande de ce que durent être les croyances pré-mosaïques des Hébreux, ainsi que de ce que la religion d'Israël avait en commun avec celles des nations voisines. Nous avons pu ainsi nous rendre mieux compte de ce qui appartenait en propre à son génie ou à la révélation. Les connaissances que l'on a acquises sur Canaan et sur le conflit qui s'y est rencontré entre la vie nomade et la vie sédentaire ont jeté beaucoup de lumière sur les moeurs d'Israël et les contrastes de son histoire qui s'expriment, d'une part dans le formalisme du temple et le luxe des rois, d'autre part dans les revendications des prophètes, les coutumes des naziréens et des récabites. Où la question se complique, c'est quand la nouvelle école critique veut nous expliquer l'origine du jéhovisme. Très impressionnée par le caractère ethnique de certains récits de l'époque patriarcale, elle estime que l'ensemble de ces récits est avant tout d'ordre explicatif (récits composés pour expliquer le nom des lieux, l'état présent du peuple, ses rapports avec ses voisins), en sorte que les personnages qu'ils mettent en scène n'ont qu'une attache très vague avec l'histoire. Il n'est pas impossible, nous dit-on, qu'Abraham ait existé... Dans ces conditions nul n'est autorisé à faire fond sur des récits racontant la vocation d'Abraham, le sacrifice d'Isaac, les promesses aux patriarches ; et quand Jéhovah se proposera à l'adoration des Israélites, il n'aura aucune qualité pour s'intituler le dieu de leurs pères.

Pour la période de Moïse, la théorie des récits explicatifs joue également un grand rôle. C'est ainsi que des épisodes comme la circoncision (Ex 4:24,26), la Pâque (Ex 12), la constitution des anciens (Ex 18) et peut-être le buisson ardent (Ex 3:1,6), les plaies d'Egypte (Ex 7-11 12:29,34), les promesses relatives à Canaan, l'intention de Moïse d'introduire son peuple dans une terre promise, passent de l'ordre des faits historiques dans celui des explications populaires ou sacerdotales destinées à légitimer des institutions postérieures ou des phénomènes observés dans la nature. D'autres épisodes, comme celui de Moïse sauvé des eaux, relèvent du folklore. 11 ne s'ensuit pas nécessairement que Moïse soit un être fictif, mais nous n'avons guère que sa légende. En tout cas, si les tribus israélites arrivèrent à se fixer en Canaan, ce n'est pas parce que Canaan était la terre que Jéhovah lui avait promise, mais simplement en vertu de la loi qui pousse les nomades à s'emparer des terres fécondes et cultivées. Israël arrive en Canaan comme avaient fait avant lui les Édomites et comme feront après lui les Araméens (cf. Ad. Lods, Israël, t. I, p. 205).

Une fois que le cadre historique donné par la Bible aux origines du jéhovisme a été ainsi supprimé, il reste un problème capital à résoudre : comment le Jéhovah des prophètes est-il entré dans la vie des Hébreux ? Car on ne saurait nier que, du temps de Débora, dont le cantique marque une date (Jug 5), Jéhovah est le Dieu d'Israël, l'élohim puissant qui conduit les guerres de son peuple et qui brise quiconque s'oppose aux destinées glorieuses de ses adorateurs. « Jéhovah et Israël sont indissolublement unis comme âme et corps » (Wellhausen). D'où vient Jéhovah ? Après Tiele et Stade, Budde en 1900, Valeton dans le Manuel de Chantepie de la Saussaye (traduction franc. 1904), plusieurs champions de la critique moderne ont proposé de voir dans Jéhovah le dieu des Kéniens nomades qui habitaient la presqu'île du Sinaï et avec qui Moïse s'allia par mariage.

Au dire de la tradition, Moïse séjourne parmi les tribus madianites avant d'entreprendre son oeuvre libératrice. Il devient le gendre d'un « prêtre de Madian », Hobab le Kénien, d'après J (Jug 4:11) ; ce beau-père, qui d'après une autre tradition (E) s'appelle Jéthro (Ex 3:1), vient visiter Moïse après la sortie d'Egypte et offrir à Jéhovah un sacrifice suivi d'un repas auquel prennent part Moïse, Aaron et les notables du peuple (Ex 18). Puis il conseille à Moïse de se faire aider dans sa tâche en mettant des anciens à la tête du peuple (Ex 18:14,26). Après quoi, Hobab (J), sur les instances de son gendre, accepte de prendre la tête de la colonne et de diriger la marche des tribus fugitives à travers le désert qu'il connaît bien (No 10:29,33). De ce fait, la tribu kénienne de Hobab accompagne Israël et partage son destin lors de la prise de Canaan (Jug 1:16,4:11-17 5:24,27) Les Hébreux gardèrent aux Kéniens une reconnaissance qui se manifesta lorsque Saül détruisit les Amalécites (1Sa 15:5 et suivant). S'il faut en croire le texte, très postérieur et du reste altéré : 1Ch 2:55, la famille de Récab, à laquelle appartenait le fameux Jonadab qui s'associa à l'équipée sanglante de Jéhu (2Ro 10:15, cf. Jer 35), était de la tribu des Kéniens. Voilà tout ce que nous savons sur une peuplade à qui tout à coup se trouve attribué un rôle de premier plan dans l'histoire de la religion biblique.

On peut s'étonner d'abord de voir les textes de JE relatifs aux Kéniens investis d'une valeur documentaire refusée à l'ensemble des témoignages qui, dans les mêmes sources, nous rapportent les traditions sur Moïse ; traditions que le reste de la Bible confirme, tandis qu'il n'est nulle part question, dans les prophètes ni ailleurs, d'une origine kénienne du jéhovisme. Ce jéhovisme kénien n'est du reste pas non plus dans les textes qui nous parlent des Kéniens. On l'infère du fait que Jéhovah aurait été le dieu du Sinaï, le dieu de la montagne près de laquelle, comme d'autres tribus, les Kéniens faisaient paître leurs troupeaux. Que Jéhovah se soit manifesté sur le mont Sinaï, c'est certain ; mais il ne faut pas oublier que les traditions, unanimes pour situer cette théophanie au Sinaï, sont unanimes aussi pour déclarer que Jéhovah n'était autre que l'Elohim des pères, le Dieu d'Abraham. Or, Dieu était apparu à Abraham dans la plaine de la Mésopotamie. Quant au sacrifice que Jéthro est censé avoir offert à Jéhovah, le texte hébreu dit simplement « il prit » et non « il offrit » ; peut-être devons-nous considérer que Jéthro se contenta de s'associer à un sacrifice. Que prouverait, d'ailleurs, relativement à sa religion personnelle, le fait qu'étant venu au bruit des merveilles accomplies par le dieu d'Israël, Jéthro ait offert en reconnaissance un sacrifice à ce dieu bienfaiteur, le dieu de la famille de son gendre ? Des actes de déférence de cet ordre ne sont-ils pas dans l'usage courant des religions de l'époque ? L'exclusivisme du dieu jaloux, tel que l'ont compris Moïse et les prophètes, n'avait aucune prise sur les adorateurs des Baals et autres dieux naturistes. Constatons encore que, dans le récit où il est question du sacrifice, il est dit explicitement que Jéthro était venu pour voir ce que Jéhovah avait fait en faveur de Moïse et d'Israël son peuple. Pour Jéthro, dans le texte, Jéhovah est le dieu d'Israël, et nullement celui des Kéniens. Et cette vérité nous paraît ressortir avec évidence du fait que, lorsque Moïse presse son beau-père de lui servir de guide à travers le désert, il emploie comme argument le fait que Hobab deviendra ainsi le bénéficiaire des faveurs que Jéhovah accordera à son peuple, conformément à ses promesses. Si Jéhovah avait été le dieu de Hobab avant d'être celui de Moïse, si c'étaient les Kéniens qui avaient procuré Jéhovah à Israël, Moïse parlerait-il ainsi à son beau-père ? Dans la pensée de Hobab comme dans celle des gens de son époque, la vérité n'eût-elle pas été, au contraire, que plus il s'éloignerait du Sinaï, séjour de son dieu ancestral, et plus s'affaiblirait la protection de ce dieu ?

Enfin, si le trait de génie de Moïse a consisté à choisir pour Israël le dieu de son beau-père, reste à expliquer comment Israël s'est laissé faire. La loi du point d'appui joue en histoire comme en mécanique. Pour manier le levier qui devait lui permettre d'élever Israël à une religion plus haute, il fallait à Moïse le point d'appui d'une tradition ; avec les Kéniens, il n'y en avait aucune. L'histoire ne fournit pas d'exemple de peuple ayant de plein gré abandonné sa religion pour adopter une religion étrangère. Les partisans de l'origine kénienne de Jéhovah ont bien senti la force de cet argument ; aussi suggèrent-ils l'idée que Jéhovah pouvait être déjà, outre le dieu des Kéniens, celui de quelques tribus hébraïques. Mais ici, tout indice manque. Et ce n'est pas le fait qu'on peut retrouver dans des documents cunéiformes prémosaïques des noms renfermant au commencement ou à la fin la syllabe ya qui nous apportera la lumière ; car le verbe d'où le nom Jéhovah dérive peut être entré dans la composition d'une foule de vocables qui n'ont rien à faire avec la divinité des Hébreux. Ne nous assure-t-on pas aujourd'hui dans certains milieux d'assyriologues que ya, à la fin des noms, est une désinence d'origine mitannite ? Aussi ne sommes-nous pas surpris de lire, dans l'Histoire de la Civilisation d'Israël d'Alf. Bertholet : « L'hypothèse des Kénites, très souvent invoquée, ne me paraît admissible qu'en reconnaissant que Yahvé fut aussi le dieu des Kénites ; mais qu'il ait été à l'origine le dieu des Kénites seuls, soulève à mon avis de fortes objections » (p. 154, n. 3).

A la question : Quelle est l'origine de Jéhovah, le Dieu d'Israël ? la seule réponse appuyée par des textes demeure celle des historiens et des prophètes de l'Ancien Testament : Jéhovah est l'élohim d'Abraham, le Dieu des ancêtres d'Israël, qui s'est révélé à Moïse sous son nom : « Je suis » (Ex 3:14 et suivant), nom par lequel l'élohim d'Abraham donne à entendre que ce qui le distingue des autres élohim, c'est le fait qu'il existe. De là l'expression d'un vieux texte de Josué : « Jéhovah, le Dieu vivant, est au milieu de vous » (3:10), et l'exclamation de Gédéon : « Jéhovah est vivant ! » (Jug 8:19) formule qui se trouve vingt fois dans l'A.T. De là aussi l'expression : « Je suis vivant ! » (No 14:28), expression par laquelle Jéhovah en appelle au trait le plus distinctif et le plus décisif de sa nature ; de là enfin la déclaration explicite de Jérémie : « C'est Jéhovah qui est le vrai Elohim, le Dieu vivant, le Roi éternel » (Jer 10:10). Voir Yahvé.

Les circonstances de cette révélation du Sinaï ne peuvent être expliquées par le cours naturel de l'histoire, mais elles se justifient au point de vue historique et psychologique par le fait qu'en donnant à Jéhovah le double caractère de Dieu des pères et de Dieu vivant, elles fournissent la seule explication qui sauve la légalité du contrat sinaïtique et la moralité de la condamnation d'Israël prononcée au nom du Dieu offensé par les prophètes du VIII e siècle. Voir Exclusivisme.

(b) LES TYPES RELIGIEUX EN ISRAËL. Faut-il conclure de tout cela qu'à partir du premier des prophètes, Moïse, les Hébreux ont été une nation monothéiste ? Evidemment non. Aussi bien est-ce une façon simpliste de traiter l'histoire que de parler d'Israël en bloc et de dire : Israël était ceci ou était cela. Israël, comme toute société humaine, comme les Juifs du temps de Jésus, comme les chrétiens de notre temps, était constitué de groupes religieux aux types divers, types qu'il faut connaître si l'on veut se faire une idée exacte des circonstances dans lesquelles les prophètes du VIII e siècle ont été appelés à entreprendre leur croisade jéhoviste.

La masse d'Israël n'a su voir dans le Jéhovah du Sinaï que le protecteur de son exode et de la confédération de ses tribus. Elle a continué à le servir par les pratiques communes à tous les peuples qui l'entouraient. Jéhovah est pour elle un élohim de montagnes (c'était sur les montagnes que, d'après la cosmogonie antique, reposait la voûte du ciel) et, pour elle comme chez la plupart des Sémites occidentaux, (cf. De 12:2,3) les hauts-lieux sont les points de rencontre entre les adorateurs et le dieu qui dispose des phénomènes naturels pour détruire ou pour bénir : le tremblement de terre, les flammes dévorantes, les tonnerres, les ténèbres, la tempête (Ex 20, Jug 5 etc.). Par une alliance indissoluble et qui remonte à une antiquité immémoriale (Ge 15:18), Jéhovah est devenu le protecteur du peuple, celui qui mène ses batailles et qui disperse ses ennemis (Ex 15). Son arche est le palladium de la victoire (No 10:33). Pour collaborer à sa force, il faut affamer les autres élohim en les privant de sacrifices et, pour cela, détruire sans pitié leurs adorateurs : d'où le khérem, ou extermination par l'interdit. Son culte, comme celui des élohim voisins, sera champêtre et naturiste : autels, sacrifices, offrandes, libations, pierres plantées, éphod divinatoire, taureau d'or, achéras et bamoth (voir Colonne) ; il comportera même des sacrifices humains, qui étaient d'un usage courant chez les Cananéens, sacrifices de fondations ou sacrifices d'enfants, constatés par le Deutéronome et condamnés par lui (12:31, cf. Jug 11:31,1Ro 16:34, lire Ge 22). Les Israélites, d'une façon générale, croyaient fermement à l'existence des autres élohim, des Baals qui fécondent la terre et, plus souvent qu'on ne le croit, ils ont associé au culte de Jéhovah celui des autres nations. Salomon a élevé des sanctuaires à Moloch et à Kamos (1Ro 11:4-8). Astarté avait en Israël ses prêtres et ses courtisanes (1Ro 15:12, Am 2:7, Os 4:13,14). Sans cesser de tenir Jéhovah pour le Dieu officiel de leur peuple, la plupart des rois d'Israël ont adopté, à côté de lui, les divinités orientales dont ils recherchaient les faveurs. Puis il y avait le culte domestique, où l'ancien animisme se maintenait avec ses rites et ses théraphim. Les institutions de Moïse et les châtiments de Jéhovah ne parvinrent pas à purger l'ensemble d'Israël de toute cette idolâtrie. Il suffit pour s'en rendre compte de voir ce que comportèrent la réforme d'Ézéchias et celle de Josias, tout à la fin de l'histoire du royaume de Juda (2Ro 23). Même parmi les Israélites qui pratiquaient fidèlement la monolâtrie et ne servaient que Jéhovah seul, la notion du Dieu national était au point de vue moral bien rudimentaire et dénuée de toute spiritualité. Ils croyaient, certes, que Jéhovah était le plus puissant des dieux, mais sa sainteté ne leur apparaissait guère que sous l'angle de la terreur, car le pouvoir de Jéhovah était tout environné de mystère. La présence de l'arche, qu'ils considéraient comme la demeure de Jéhovah, les remplissait d'effroi (1Sa 6:20). Envisagé sous l'angle national, Jéhovah est un Dieu qui protège per fas et nefas, sans trop se soucier de la morale. Leurs historiens trouvent naturel que la faveur de Jéhovah soit accordée aux patriarches, même menteurs (Ge 12:10-20 20:1,18), et qu'il ait incité les Israélites à voler leurs voisins en Egypte au moment de l'exode (Ex 3:21-22). Pour eux, tout est dû et tout est permis au peuple élu. Tout est dû et tout est permis aussi à Jéhovah, qui n'a de compte à rendre à personne. Il punit les enfants pour les fautes des pères (No 16:32,2Sa 12:13 et suivant), frappe le peuple pour la transgression de son roi (2Sa 24). Comme les autres élohim, que les sacrifices restaurent, Jéhovah est favorablement impressionné et subitement apaisé par l'odeur des holocaustes (Ge 8:20 et suivant). Il a des sympathies et il met en disgrâce, sans que l'homme puisse reconnaître à ses manières d'être un motif moral. Il agit selon son bon plaisir (Ex 33:19) et les hommes n'ont pas d'autre jugement à porter sur ses actes que les compagnons de Jonas lorsqu'ils jetèrent celui-ci à la mer : « Ne nous charge pas du sang innocent, car toi, Jéhovah, tu fais ce que tu veux ! » (Jon 1:14). Ceux-ci avaient l'impression de commettre une mauvaise action pour gagner la faveur de Jéhovah. Tel annaliste hébreu n'hésite pas à aller plus loin et à attribuer à Jéhovah des actes moralement répréhensibles : une initiative où, plus tard, on reconnaîtra l'esprit de Satan, est attribuée à Jéhovah. (cf. 2Sa 24:1,1Ch 21:1) Quand Jéhovah veut perdre quelqu'un, il l'incite au péché (Jug 9:23, Ex 10:20 11:9,1Sa 2:25,1Ro 12:15,2Ro 24:19-20). Il dispose de l'esprit du mensonge comme de l'esprit de vérité (1Ro 22:19-23). « Avec les purs, dit David dans 2Sa 22:27, tu te montres pur, mais avec les fourbes, tu te montres fourbe » (trad. litt.). Cette notion du divin pédagogue auquel est attribué tout le mal et tout le bien qui se produisent dans le cours de l'éducation d'Israël ne manque pas de grandeur, mais elle est ruineuse pour la moralité. Associée au patriotisme du monolâtre farouche, elle lui représente que tout ce qui vit existe pour Jéhovah, et que la gloire de Jéhovah et la destinée d'Israël sont liées pour toujours ; en sorte qu'aucune catastrophe, ni politique ni morale, ne pourra entraîner la ruine d'Israël. Telle était la doctrine de l'ensemble du sacerdoce. L'arbitraire divin n'était pas rassurant pour l'Israélite ; il lui rappelait trop l'humeur ombrageuse des monarques ; aussi ne devait-il rien négliger pour connaître par des oracles les célestes décrets, pour s'assurer par des présents la faveur divine et pour effacer par des actes expiatoires l'impression fâcheuse que tel ou tel manquement, même involontaire, pouvait avoir faite sur Jéhovah. De là l'influence grandissante du clergé, intermédiaire entre Dieu et l'homme, de là le développement incessant des rites du temple et du cérémonial des sacrifices. D'autre part, cette notion du dieu national qui n'a pas de comptes à rendre à la morale et qui a lié sa grandeur à la prospérité de son peuple, faisait aussi la fortune des faux prophètes, toujours prêts à affirmer à la cour des rois que Jéhovah donnerait son appui aux desseins du monarque, assurerait la victoire de ses armes et tirerait bientôt vengeance des ennemis d'Israël en les vouant aux pires catastrophes. Entretenus dans leur orgueil et leurs illusions par leurs prêtres et leurs prophètes courtisans, ces monolâtres jéhovistes avaient, eux, des prétentions religieuses, des ambitions politiques ; ils se savaient, se voulaient le peuple de Jéhovah ; grisés par leur histoire, ils se considéraient comme les clients du plus puissant patron divin. Impatientés par la lenteur que mettait Jéhovah à confondre les nations hostiles, ils donnaient au jour qui devait exaucer leurs rancunes nationales et consommer leur félicité le nom caractéristique de « jour de Jéhovah » (voir Jour de l'Éternel).

A côté de ces monolâtres, jéhovistes de seconde zone, et en opposition avec eux, nous trouvons dès l'origine les hommes de Dieu, ceux qui sont en Israël comme le levain dans la pâte et qui peu à peu l'acheminent vers la théologie morale et spirituelle des grands siècles du prophétisme. Ceux-ci représentent, dès Moïse, le monothéisme. Jéhovah est le Dieu qui existe (Ex 3:14). Les autres, de ce chef, ne sauraient lui être associés (De 5:7) ; point de place non plus dans le culte pour les images taillées (De 5:8 ; cf. les passages relatifs au « péché de Jéroboam », 1Ro 12:25,33 15:34 16:2,2Ro 3:3, etc.), car Jéhovah est invisible (Ex 33:18,23) et ne se manifeste que dans sa personnalité morale. Il s'affirme en proclamant le bien (De 5:16,21). Si Israël veut entrer dans l'alliance de Jéhovah, il faut qu'il engage sa conscience par un contrat, une berîth. S'il observe la thora (De 5:6,21 6:1,9), il vivra et prospérera sans avoir à craindre personne, car Jéhovah est le Dieu vivant. Mais, s'il transgresse la thora, s'il fait le mal, il souffrira et il mourra. A aucun moment et sous aucun prétexte, la désobéissance et la prospérité ne peuvent marcher ensemble. Cette doctrine que l'on trouve explicitement enseignée dans la partie du Deutéronome où sont commentés les derniers discours de Moïse (cf. surtout De 30:15-20) se retrouve en général dans les plus vieilles traditions du temps mosaïque, lorsque Moïse se débat contre Jéhovah qui veut détruire son peuple infidèle. L'homme qui incarne avec le plus de relief l'austérité du jéhovisme intégral pour qui tout est secondaire et périssable sauf l'honneur de Jéhovah, c'est le prophète Élie. Son apparence, son verbe, son action sont autant de protestations contre les accommodements auxquels conduit la prospérité matérielle, autant de revendications passionnées des exigences morales de Jéhovah. Le patriote, chez lui, s'efface devant le jéhoviste. Qu'importe qu'Achab ait sauvé Israël des mains des Moabites et des Araméens ? Il a violé la morale jéhoviste, il doit périr (1Ro 21) ; et, s'il le faut, Israël tout entier périra par la famine s'il reste attaché aux Baals (1Ro 17:1-7). Les considérations politiques, les traditions cultuelles, le salut national ne comptent pour rien. Le tout est de savoir si l'on est pour Baal ou pour Jéhovah. Dans sa lutte contre l'idolâtrie et contre le jéhovisme corrompu dont la monolâtrie se défend mal de l'immoralisme baaliste, Élie se dresse comme le champion du Dieu unique dont la justice ne fléchit nulle part ni devant personne. « Le monothéisme universaliste a commencé là » (A. Causse, Les Prophètes..., p. 62). Quand Amos traitera de malédiction le luxe et l'incrédulité des grands, quand il défendra le droit des petits, il bâtira sur les fondements posés par Élie. Quand Osée présentera le désert comme le lieu le plus favorable à la communion entre Jéhovah et son peuple (Os 2:14), il parlera dans l'esprit d'Élie et dans l'esprit du groupe des fervents qui, depuis le temps de Moïse, n'ont cessé de considérer que la vie pastorale, avec ses moeurs simples, ses habitudes frugales et son appel constant aux directions et à la protection de Jéhovah, est la vie qui répond le mieux à ce que Jéhovah demandait à son peuple par la thora du Sinaï. Dans cette horreur de la civilisation et de ses entraînements, il y a déjà des éléments du culte spirituel, dont le rustique autel de pierres brutes, sur lequel on ne devait pas porter le ciseau de peur de le profaner (Ex 20:4), fait remonter l'origine aux temps mosaïques, et que les prophètes des VIII e, VIII° et VI° siècle ne feront, après Samuel et Élie, que développer et caractériser. Il faut mentionner ici, au point de, vue de la spiritualité, la page admirable où nous est contée la rencontre d'Elisée avec le général syrien Naaman. Son historicité nous est garantie par la notion de l'élohim géographique que l'on y retrouve (2Ro 5:17). Naaman, gagné à Jéhovah, pose devant Elisée un cas de conscience. Lorsque le roi son maître s'appuiera sur sa main au moment de se prosterner dans le temple devant la statue de son dieu Rimmon, lui, Naaman, se verra obligé par ses fonctions de s'incliner aussi. Sera-ce un péché aux yeux de Jéhovah ? Elisée lui répond : « Va en paix ! » (2Ro 5:18 et suivant). Impossible de caractériser plus nettement la spiritualité de la religion de Jéhovah, « L'homme, disait Samuel, regarde à ce qui frappe les yeux, mais Jéhovah regarde au coeur » (1Sa 16:7). Est-il besoin, après ces exemples, de dire que, dans le milieu des prophètes jéhovistes, le nom de Jéhovah est synonyme de justice ? Toute la thora de Moïse était destinée à instaurer cette justice parmi les hommes et à fixer les rapports de Jéhovah avec son peuple en prenant pour base le respect ou la violation de cette justice par ses adorateurs. Une page recueillie par le narrateur J prouve qu'au IX e siècle cette notion de justice est bien celle qui réglait la piété de l'élite en Israël : la page qui présente Abraham priant en faveur de Sodome. C'est un rappel aux principes de justice qu'Abraham ose risquer en s'adressant à Jéhovah : « Faire mourir le juste avec le méchant, en sorte qu'il en soit du juste comme du méchant ? Loin de toi cette manière d'agir, loin de toi ! Celui qui juge toute la terre n'exercerait-il pas la justice ? » (Ge 18:25). Il n'y a pas jusqu'à cette expression : « celui qui juge toute la terre » qui ne doive nous retenir. Elle prouve qu'au IX e siècle c'était bien dans le sens du monothéisme que les jéhovistes authentiques tranchaient la question de l'autorité de leur Dieu. Ils trouvaient naturel que le Dieu qui avait créé l'homme (Ge 2) exerçât ses jugements sur toute la terre, qu'il eût accompagne le patriarche Abraham sur le territoire d'autres dieux sans faire de ceux-ci aucun cas (Ge 12), accompagné Moïse en Egypte et triomphé des magiciens du pharaon (Ex 7 à 9), renversé chez les Philistins la statue du dieu Dagon de son piédestal (1Sa 5:3,5). C'est en vertu de ce même monothéisme que nous voyons, dans 1Ro 17:10,16, Jéhovah nourrir Élie dans la région de Sarepta, sur terre sidonienne, et, dans 2Ro 8:7 et suivants, le Dieu d'Israël mener les affaires dans le palais de Damas.

Nous croyons en avoir assez dit pour montrer que les notions de monothéisme, de moralité, de spiritualité et même d'universalisme existaient, tout au moins dans leurs éléments, avant le VIII e siècle, et que les prophètes Amos, Osée, Ésaïe, Michée, tout en faisant progresser la théologie jéhoviste que leurs successeurs devaient développer encore, ont pu faire allusion à ces notions fondamentales comme à des vérités déjà connues au sein de leur peuple. S'ils ont fait oeuvre de réformateurs religieux au sein de la nation élue, c'est précisément parce que leur accusation a trouvé dans les traditions d'Israël un point d'appui incontesté.

Il faut reconnaître cependant que, dans le milieu de fervents auquel ils appartenaient, la théologie présentait des lacunes graves. --1) Dans le jéhovisme primitif, la religion était toute tournée vers la collectivité. L'individu ne comptait que comme moyen d'assurer la faveur de Jéhovah à sa race. La loi du Sinaï ne disait pas : « Écoute, Israélite », mais : « Écoute, Israël ». Elle s'adressait au peuple en tant que peuple ; ainsi le service de Dieu se confondait avec un patriotisme bien entendu. Élie a vu le danger, mais son successeur Elisée n'a pas su maintenir l'action prophétique au-dessus de la confusion qui mêle à la religion la politique. Cette conception nationale du jéhovisme pouvait être au début de grande utilité pédagogique (cf. Westphal, Jéhovah, 4 e éd., pp. 198-203) ; mais, à durer, elle n'aurait pu qu'entraver le développement de la spiritualité naissante. --2) Le jéhovisme primitif n'avait aucune idée qu'une puissance mauvaise, une volonté infernale était agissante dans le monde et y contrecarrait les desseins de Dieu. Comme, d'autre part, les jéhovistes authentiques se refusaient à admettre qu'il y eût la moindre injustice en Dieu, ils en étaient réduits, devant le déploiement du mal, à une solution intermédiaire qui les troublait : le mal a pour cause, soit un être créé par Dieu et placé par lui dans l'entourage de l'homme, mais dont Dieu a réprouvé l'acte (le serpent, dans le récit de la Chute rapporté par J au IX e siècle), soit un fils de Dieu vivant dans l'entourage de Dieu, fils sceptique, accusateur, qui tend un piège au croyant intègre dans l'intention de le faire pécher. Dieu récompense finalement le croyant fidèle, mais il a permis ses injustes malheurs... (cadre en prose du livre de Job : Job 1 et Job 2, et Job 42:7,17 ; récit antérieur au poème philosophique en vers, Job 3-42:6, lequel est placé par les critiques, soit au VIII° siècle, soit après les temps de Jérémie et d'Ézéchiel). Cette notion ne pouvait qu'énerver le sentiment de la responsabilité individuelle. --3) Le jéhovisme primitif ignorait enfin la vie future et les rétributions de l'au-delà. Force lui était donc d'attribuer à la vie terrestre les récompenses des bons et les punitions des méchants (Ps 1). Mais cette notion simpliste ne le satisfaisait pas non plus, démentie qu'elle est chaque jour par les événements. Le croyant jéhoviste se débattait ainsi à cause de la souffrance des innocents dans des contradictions dont le poème de Job nous fait une description pathétique (cf. 3, 9:21 - 24) et dont Jérémie nous apporte encore un écho poignant lorsque, exaspéré par les persécutions dont il est victime, il accuse Jéhovah de l'avoir « séduit » (Jer 20:7 ; même verbe que dans Ge 3:13)...

Serais-tu pour moi comme une source trompeuse, Comme une eau dont on n'est pas sûr ? (Jer 15:18)

Les difficultés que rencontrait leur pensée religieuse, quelquefois même leur conscience de croyants, comme aussi les constatations qu'ils faisaient autour d'eux relativement au relâchement moral et aux illusions politiques de la masse de leur peuple, étaient bien propres à nourrir en eux le trouble à l'égard de l'avenir d'Israël et la jalousie

pour Jéhovah dont leur âme était pleine. Avec leur austérité de moeurs, leurs indignations sociales et leur sainte inquiétude, ceux-là constituaient le milieu étroit où se recrutaient les prophètes. Il faut voir en eux les ancêtres des anavîm, des ébionîm, des tsaddikîm, ces piétistes d'Israël par qui les oracles s'accompliront et qui exhaleront les aspirations de leur foi dans les Psaumes (cf. Westphal, Jéhovah, 4 e éd., pp. 440-446). C'est au sein de tout ce mouvement d'idées qui tantôt s'opposaient et tantôt s'enchevêtraient, que s'exerça le ministère des prophètes écrivains. Les divers types religieux que nous avons caractérisés nous permettent de mieux comprendre les difficultés que ces prophètes devaient rencontrer et les oppositions qu'ils allaient soulever. Nous serons mieux à même aussi de nous expliquer l'influence qu'ils eurent sur le groupe des jéhovistes fervents et d'apprécier comment, instruits par les circonstances, par leur génie et par l'inspiration divine, ils surent élever progressivement, non point le peuple d'Israël, (cf. Mt 5:12 13:57 23:37 etc.) mais son élite : les 7.000 qui n'avaient pas fléchi le genou devant Baal (1Ro 19:18), les fragments arrachés « à la gueule du lion » (Am 3:12), le « reste » destiné au salut (Esa 10:22 11:11, etc., cf. Jer 6:9 50:20, etc.), à une religion morale et spirituelle, capable d'accueillir le Messie et d'offrir un berceau au christianisme naissant.

4.

LA MARÉE DE L'ESPRIT.

A partir du VIII° siècle, l' ich harouakh, l'homme de l'Esprit, occupe dans l'histoire d'Israël le devant de la scène. C'est par lui que nous connaissons le mieux l'histoire du temps ou, pour mieux dire, le double drame qui mit fin aux destinées politiques du peuple élu. Pendant ce drame, qui dura un peu moins de deux siècles, neuf prophètes dont les écrits ont été conservés nous racontent comment, sous la contrainte divine, ils ont, dans la hardiesse de leur verbe, annoncé au peuple de Dieu la ruine des espérances temporelles et les principes au nom desquels il allait être châtié. Si nous parlons ici de marée, c'est que les révélations des principaux parmi ces hommes de l'Esprit se sont succédé dans une progression constante, faisant monter, monter toujours le niveau spirituel du groupe de croyants jusqu'au moment où il atteint, avec le 2 e Ésaïe, la hauteur des vérités morales et religieuses où devait baigner l'Évangile. On trouvera ailleurs, dans des articles à leurs noms, la biographie de ces prophètes et l'étude critique de leurs livres. Nous ne voulons caractériser ici que l'originalité de leur prédication et montrer l'enchaînement progressif qui les relie les uns aux autres.

Amos. Le premier de la pléiade, Amos, homme de la campagne, pris par Jéhovah « derrière le troupeau », déblaie le terrain. Il fait oeuvre de justicier. Par son attitude, il rappelle Élie et annonce Jean-Baptiste. C'est un réformateur qui tient du révolutionnaire.

Malheur à ceux qui souhaitent

Le « jour de Jéhovah » !

Qu'attendez-vous du jour de Jéhovah ?

Il sera ténèbres et non lumière.

Vous serez comme un homme

Qui fuit devant le lion

Et qui rencontre un ours,

Qui gagne sa demeure,

Appuie la main sur la muraille

Et que mord un serpent ! (Am 5:18)

Pourquoi ? Parce qu'Israël, en tant que peuple, a trompé l'attente de Jéhovah et que les jugements de Jéhovah vont l'atteindre. Israël, que les victoires de Jéroboam II avaient élevé au plus haut point de la puissance mondaine, a renversé les fondements de la justice. Or Dieu est justice. Il avait librement élu Israël et ne doit pas plus à Israël qu'aux autres peuples dont il dirige aussi les destinées :

N'êtes-vous pas pour moi Comme les enfants des Ethiopiens ? N'ai-je pas tiré Israël d'Egypte, Comme les Philistins de Caphtor, Et les Syriens de Kir ? (Am 9:7)

S'il est résolu à châtier les crimes des voisins d'Israël, les Syriens (Am 1:3,5), les Philistins (Am 1:6,8), Tyr (Am 1:9-10), et de ses parents : Édom (Am 1:11-12), Ammon (Am 1:13,15), Moab (Am 2:1-3), et cela pour des crimes de lèse-humanité, à plus forte raison tirera-t-il vengeance du peuple auquel il avait accordé sa faveur et ses lumières. Le peuple de Dieu, par sa vie immorale, a commis un crime de lèse-divinité :

Vous seuls je vous ai choisis

Parmi toutes les races de la terre ;

C'est pour cela que je vous châtierai ! (Am 3:2)

Quels sont donc les péchés d'Israël ? D'abord un matérialisme jouisseur, une mondanité effrénée :

Étendus sur des lits d'ivoire,

Vautrés sur leurs divans,

Ils mangent les agneaux du troupeau,

Les veaux gras de l'étable !

Chantonnant au son du nebel..

Ils boivent le vin aux lèvres des amphores,

Se parfument d'huiles de choix,

Insouciants de la plaie de Joseph !

C'est pourquoi ils iront en tête des captifs,

Alors la clameur de leurs orgies cessera ! (Am 6:4-7)

Ensuite une iniquité criante à l'égard du juste, du pauvre, des humbles qui vivent dans la piété jéhoviste :

Ils vendent le tsaddîk pour de l'argent,

L'ébion pour une paire de sandales,

Volent le droit des anavîm

Le fils et le père courent

Vers la même prostituée...

Ils dorment à côté des autels

Sur des vêtements pris à gage (Am 2:6-8).

Ecoutez-moi, mangeurs de pauvres,

Grugeurs des faibles du pays !

Quand [dites-vous] aura fini la nouvelle lune

Pour que nous reprenions les affaires sur le blé ?

Quand sera passé le sabbat

Pour que nous ouvrions nos magasins

Où nous ferons l'épha aussi petit

Et le sicle aussi grand que possible ?

Grâce à nos fausses balances,

Nous achèterons les pauvres...

Et nous arriverons à vendre

Jusqu'à la criblure de notre blé (Am 8:4).

Enfin, l'impudence de croire qu'on peut avec des cultes, des sacrifices, des offrandes et des litanies s'assurer l'indulgence plénière du Dieu juste :

Allez à Béthel, ce sera un péché de plus,

A Guilgal, un péché de plus encore !

Offrez chaque matin un sacrifice,

Tous les trois jours, venez payer vos dîmes...

Faites sonner bien haut vos dons volontaires ;

C'est là ce que vous aimez, enfants d'Israël !

Et moi..., je hais, j'ai en dégoût vos fêtes,

Je ne puis souffrir vos panégyres.

Quand vous m'immolez des holocaustes,

Je ne prends pas plaisir à vos offrandes ;

Je ne regarde pas vos boeufs gras.

Epargnez-moi le bruit de vos cantiques ! (Am 4:4 5:21,23)

Ainsi parlait le berger de Thékoa. Et cette parole était si neuve qu'elle résonnait aux oreilles des classes dirigeantes de son époque comme autant de blasphèmes : blasphème, que de prêter à un Dieu national la volonté d'anéantir son peuple ; blasphème, pour un homme de Dieu, que de se dresser contre la maison de Dieu et de déclarer aux dévots tout occupés d'exactitude rituelle : Vos cultes, voilà votre péché ! Et pourtant, ces blasphèmes étaient en réalité les vérités les plus hautes. Ils formulaient des doctrines qui ne devaient plus désormais quitter l'horizon des réformes religieuses, morales et sociales de tous les temps : devant la justice de Jéhovah, il n'y a ni race ni frontière ; les vrais adorateurs sont ceux qui fondent la religion, non sur les pratiques d'un culte, mais sur une morale vécue. Pour avoir écrit la première page humaine en faveur des opprimés, pour avoir flagellé dans des discours enflammés l'orgueil, la vénalité, l'hypocrisie, Amos s'est placé en tête de tous les prophètes de la conscience et, parce que son livre a été écrit sept cents ans av. J. -C, il se trouve qu'Amos est dans la littérature des hommes le premier prédicateur de la justice sociale en même temps que le premier héraut des droits de Dieu.

L'unité du livre d'Amos, qui prophétise contre le royaume du Nord, est toute dans le thème divin : « Je ne révoquerai pas mon arrêt. » On ne saurait donc être surpris que la plupart des savants attribuent à une main postérieure les cinq derniers versets du chap. 9 où il est parlé d'un rétablissement de « la maison de David », rétablissement que rien, dans le livre, n'annonce ni ne justifie. Cet oracle inattendu, dont la langue n'est pas tout à fait dans la manière du prophète, n'aurait pu que briser la pointe de l'argumentation d'Amos ; et ceci d'autant plus que c'est au royaume de Jéroboam II qu'il s'en prend. Aussi bien, l'histoire montre que le décret proclamé en Israël n'a pas été révoqué, puisque les deux royaumes ont disparu sans retour et que les revenants de l'exil, « le reste » qui devait être sauvé, n'ont pu que se constituer en communauté judéenne.

OSEE.

Dans le sol déchiré par le soc dur d'Amos, Osée jette une semence qui portera sa fleur dans l'Évangile. Les prophètes d'ordinaire sont sobres sur ce qui les concerne. C'est sur Dieu, non sur eux, qu'ils attirent les regards. Quand ils parlent de leurs expériences, c'est pour qu'on tire enseignement de leur état d'âme. L'état d'âme d'Osée sera générateur de révélation.

Au moment où il entreprend son ministère, la pression de l'Assyrie est aux frontières d'Israël. Mais Israël, qui a rejeté Amos, ne comprend pas. Son éphémère prospérité l'aveugle. Éphraïmite, Osée connaît mieux que personne le crime de la maison de Jéhu. Il annonce sa ruine comme son prédécesseur. Il tonne contre la luxure, contre toutes les formes de la corruption et de l'anarchie religieuse (Os 4:11,14 6:8 7:1,7 etc.), contre la transgression de l'alliance (Os 4:6-10 6:7) ; avec la même violence qu'Amos, il annonce à tous ceux qui, sans renier Jéhovah, servent les Baals, et qui cherchent leur appui en Egypte ou en Assyrie (Os 7:8 8:10, etc.), les terribles rétributions de Jéhovah :

Je serai pour eux comme un lion ;

Comme une panthère,

Je les épierai sur la route ;

Je les attaquerai comme une ourse

A laquelle on a dérobé ses petits (Os 13:7).

Comme Amos, il s'en prend aux prêtres qui égarent le peuple :

Ils se repaissent des péchés de mon peuple,

Ils sont avides de ses iniquités ;

Il en sera du prêtre comme du peuple :

Je le châtierai selon ses voies,

Je lui rendrai selon ses oeuvres...

Ecoutez ceci, prêtres :

Par leurs sacrifices

Les infidèles s'enfoncent dans le crime,

Mais je les châtierai tous.

Avec leurs brebis et leurs boeufs,

Ils iront chercher Jéhovah,

Mais ils ne le trouveront pas.

Il s'est retiré du milieu d'eux. (Os 4:8 5:1,6, etc.).

Cependant, non content de maudire ceux qui trafiquent des autels, Osée s'en prend maintenant aux autels eux-mêmes. Amos admettait encore les autels révérés par Élie (1Ro 19:14), les bamoth jéhovistes élevés pour contrebalancer les hauts-lieux cananéens et pour introniser Jéhovah comme le vrai baal du pays, le seul dispensateur des dons de la terre. (cf. Os 2:18) Osée--c'est un progrès très grand dans le sens de la spiritualité du culte--ne veut plus rien savoir des sanctuaires locaux. Béthel, avec son veau d'or représentant Jéhovah (Os 4:5-15 6:10), Sichem (Os 6:9) et par-dessus tout Guilgal (Os 9:15 12:12) lui font horreur. Le prophète voit dans ces autels un piège pour la religion véritable, une occasion de formalisme et d'idolâtrie :

Jéhovah a rejeté ton veau, Samarie !

Un ouvrier l'a fabriqué.

Ce n'est pas un dieu ;

Il sera mis en pièces...

Puisqu'ils ont semé le vent,

Ils moissonneront la tempête (Os 8:5,7).

Comme Salman détruisit Beth-Arbel,

Aux jours de la guerre

Où la mère fut écrasée sur les enfants,

Voilà ce que vous attirera Beth-El (Os 10:14).

N'allez pas à Guilgal !

Ne montez pas à Beth-Aven (Béthel)...

Les hauts-lieux de Beth-Aven,

Où Israël a péché,

Seront détruits.

Ils diront aux montagnes : Couvrez-nous !

Et aux collines : Tombez sur nous ! (Os 4:15 10:8)

Quand Jésus voudra parler des malheurs attirés sur les Juifs par le fait que leur culte avait transformé la maison de son Père en une « caverne de voleurs », il empruntera l'image d'Osée (Lu 19:46, cf. Ap 6:16).

Après avoir prophétisé contre les deux premiers types religieux que nous avons caractérisés au sein du peuple élu, Osée a aussi une révélation pour les jéhovistes intègres qui ont tremblé aux accents d'Amos. Malheureux par un de ces amours profonds qui, s'étant donnés tout entiers, ne peuvent se donner qu'une fois, monogame ne prenant pas son parti de l'abandon de l'infidèle, Osée n'hésite pas à déclarer que Dieu l'a fait passer par cette expérience pour lui montrer, du même coup, et la nature intime du péché de la nation élue, et la raison de la fidélité que Jéhovah lui garde et lui gardera toujours malgré tout (Os 1 à 3). Jéhovah a aimé la nation élue, il est son époux. Le péché d'Israël est le plus grand qui se puisse commettre : un adultère. Ce terme, employé pour la première fois par Osée, reviendra dans les prophètes qui suivront. Jésus le reprendra aussi (Mt 12:39). Constant dans sa foi à celle qu'il aime, l'époux trahi, le père outragé des enfants d'Israël ne songe en châtiant qu'à ramener à lui l'objet de son inaltérable amour. Ainsi c'est un drame de salut qui s'agite dans l'âme hautement humaine du prophète. A peine a-t-il fait dire à Jéhovah indigné : (Os 11:5 et suivant)

Parce qu'ils ont refusé de revenir à moi

L'épée fondra sur leurs villes,

Anéantira, dévorera leurs soutiens !

qu'il met dans sa bouche : (Os 11:8 et suivant)

Que te ferai-je, Ephraïm ?

Dois-je te livrer, Israël ?

Te traiterai-je comme Adma ?

Te rendrai-je semblable à Tseboïm ?

Mon coeur s'agite au dedans de moi ;

Toutes mes compassions sont émues.

Je n'agirai pas selon mon ardente fureur ;

Je renonce à détruire Ephraïm,

Car je suis Dieu et non pas homme.

Il y a toute une révolution théologique et téléologique dans le dénouement du débat pathétique auquel Osée nous fait assister au fond du coeur même de Dieu. On a remarqué qu'Osée s'en réfère constamment à l'histoire du passé. Les ouvrages J, E et le noyau primitif de D avaient éveillé en lui le sentiment que Jéhovah est l'animateur de l'histoire d'Israël et que tout le long de cette histoire

Jéhovah a fait éclater sa bonté, déployé son amour, amour incompris, bafoué. Ses successeurs s'empareront de cette doctrine, la développeront, y trouveront le principe moral de l'histoire universelle. Sa gloire à lui, c'est, à une époque où le jéhovisme fervent s'entendait mieux à craindre Jéhovah et à haïr ses adversaires qu'à l'aimer, d'avoir proclamé que ce qui différencie la personne divine de la manière d'être de l'homme, c'est la qualité du coeur. On ne triomphe point par des ruines ; l'amour seul est constructif : « Je renonce à détruire ! » C'est dans ce passage--on le verra plus loin--que le prophétisme messianique a pris sa source.

Comme Amos faisait penser à Jean-Baptiste, Osée fait penser à saint Jean. Le premier, il a entrevu la valeur rédemptrice de la miséricorde, qui sera le thème de l'Évangile johannique et dont Jésus manifestera la vertu souveraine en se laissant clouer sur une croix.

ÉSAÏE.

Tandis que l'on bâtissait Rome, qui devait devenir dans le monde le symbole de la force fondée sur la politique humaine, un prophète naissait, qui allait dénoncer le néant de la puissance humaine et donner pour fondement à l'histoire la politique de Dieu. Prince des prophètes par l'éclat de son style et l'envergure de son inspiration, Ésaïe remplit un demi-siècle de son activité. Il assiste à la ruine de Samarie annoncée par Amos et, par son influence sur Ézéchias, retarde la ruine de Jérusalem. Par les multiples ressources de son génie, il s'apparente aux plus illustres de ses prédécesseurs : à Élie, par l'attrait qu'exerçaient sur lui les phénomènes de la nature et par son courage devant les rois (cf. Esa 2:12) ; à Amos, par ses revendications sociales (Esa 1:21,23 3:14 5:8 10:1 28:1). à Osée, par la tendresse de ses accents (Esa 5:1,4 26:1) ; et il les domine tous. « Il fut le plus grand d'une série de géants » (Renan).

Sans doute, Ésaïe reprend après d'autres la lutte contre les élohistes idolâtres (Esa 1:24,28,31)

Oui, j'aurai ma revanche sur mes adversaires ;

Je me vengerai de mes ennemis !

Ceux qui ont abandonné Jéhovah périront...

Les riches seront comme l'étoupe,

Les idoles comme l'étincelle ;

Hommes et dieux périront ensemble,

Et personne ne sera là pour éteindre...

contre le formalisme et le ritualisme des prêtres et toutes les observances cultuelles par lesquelles on s'imagine éluder la religion de la conscience : (Esa 1:11-14)

Qu'ai-je à faire

De la multitude de vos sacrifices ?

Dit Jéhovah.

Je suis rassasié des holocaustes des béliers

Et de la graisse des veaux.

Je ne prends point de plaisir

Au sang des taureaux, des brebis et des boucs...

Qui vous demande de souiller mes parvis ?

Cessez d'apporter de vaines offrandes !

Vos lunaisons et vos solennités,

Mon âme les hait,

Elles me sont à charge ;

Je suis las de les supporter.

Mais sa vocation (Esa 6) lui a révélé que le jéhoviste même le plus sincère est un pécheur, un « homme aux lèvres impures », qui ne sait pas par lui-même faire le bien et réaliser une oeuvre de justice acceptable par Jéhovah. Ce qu'il faut à tous, c'est le contact purificateur de la « pierre ardente », c'est l'absolution du séraphin : « Ton iniquité est enlevée et ton péché expié » (Esa 6:1,7).

Jéhovah, qui avait dit par Osée : « Je renonce à détruire », dit maintenant par Ésaïe : (Esa 1:18)

Quand tes péchés seraient comme le cramoisi, Ils deviendront blancs comme la neige ; Quand ils seraient rouges comme la pourpre, Ils deviendront comme la laine.

La portée des événements politiques qui mettent

Juda à deux doigts de sa perte doit faire comprendre à la nation élue qu'elle est appelée tout entière, depuis le roi jusqu'au plus humble Israélite, à s'humilier et à se repentir devant Dieu : (Esa 22:12)

Ce à quoi le Seigneur

Vous appelle en ce jour,

C'est à pleurer,

A vous frapper la poitrine,

A vous raser la tête

Et à ceindre le sac.

Car Jéhovah n'est pas seulement le juge et le père de son peuple, il est le Dieu saint, saint, saint dont la gloire remplit toute la terre. « Le Saint d'Israël », voilà le terme de prédilection qu'Ésaïe emploie pour désigner Jéhovah ; on le compte douze fois dans ses discours (Esa 1:4 5:19-24 10:20 12:6 17:7 29:19 30:11,12-15 31:1 37:23) ; voir aussi les expressions : le Saint (Esa 5:16), son Saint (Esa 10:17), le Saint de Jacob (Esa 29:23). Le mot « Saint » n'indique pas seulement ici les notions de pureté et de vie (tout ce qui a trait à la mort et aux cadavres est impur), ou ce qui touche au culte (à ses objets, à son personnel, aux actes rituels) ; il ne vise pas seulement Jéhovah en tant qu'Être suprême (sa majesté, son immatérialité, son invisibilité, son inaccessibilité) ; il va droit au domaine éthique et désigne la perfection morale comme le caractère propre du Dieu d'Israël. Ceci, du coup, met un abîme entre Dieu et l'homme, un abîme entre Jéhovah et toutes les prétendues divinités. Jéhovah est saint, c'est pour cela qu'il n'y a de place pour aucun dieu à côté de lui, pour cela que sa gloire remplit toute la terre (Esa 6:3).

Qu'il se lève pour effrayer la terre, et :

Toutes les idoles disparaîtront.

On entrera dans les fentes des rochers

Et dans les creux des pierres,

Pour éviter la terreur de Jéhovah

Et l'éclat de sa majesté (Esa 2:18,21).

Toutes ces pensées, qui font monter toujours plus haut le niveau spirituel de la prophétie, aboutissent logiquement à cette doctrine prêchée avec force par Esaïe, que Jéhovah est maître souverain de l'histoire et qu'il mène la destinée des hommes comme il lui plaît :

Ceux qui cachent leurs desseins

Et disent : « Qui nous voit ? Qui nous connaît ? »

Quelle folie !

Le potier serait-il donc tenu

Pour de l'argile ?

L'oeuvre dira-t-elle de l'ouvrier :

Il ne m'a pas faite ?

Et le vase dira-t-il du potier :

Il n'y entend rien ? (Esa 29:15)

Déjà, les annales de JE et les premiers prophètes avaient préparé le terrain en présentant Jéhovah comme le Dieu créateur qui protège ses élus sans être incommodé par les élohim qu'on lui oppose. Mais Ésaïe s'élève à un degré supérieur, il voit plus avant. Jéhovah règne sur toutes les nations et règle leurs rapports avec son peuple, comme leurs rapports entre elles, suivant les lois de sa justice souveraine. Il décide des événements, les accomplit au moment choisi par sa sagesse. Et les hommes vont, viennent, luttent sur le chemin qu'il leur a d'avance fixé. Il amène l'Assyrien, « verge de ma colère » (Esa 10:5), et le châtie ensuite de son orgueil par le Caldéen (Hab 1:6), « mon serviteur » (Jer 25:9), qui tombera à son tour sous les coups de Cyrus, « mon pasteur » (Esa 44:28), et si Juda se met en travers des vues du Tout-Puissant, lui aussi, il sera balayé comme Israël.

Ils ont méprisé la parole

Du Saint d'Israël.

C'est pourquoi la colère de Jéhovah

S'enflamme contre son peuple.

Il étend la main sur lui,

Il le frappe...

Les cadavres sont comme des balayures

Au milieu des rues (Esa 5:24).

Une seule chose importe : le triomphe du « Saint » dont la gloire « remplit toute la terre ».

Mes yeux ont vu le Roi !

dit Ésaïe en parlant de lui (Esa 6:5) ; et, comme un roi, il a un empire, le monde qu'il a seul créé, où il règne souverainement. Ce n'est pas un dieu myope ou soumis au destin comme les Olympiens, il connaît tout et il peut tout ; il est le maître de l'histoire, à laquelle il assigne marche et but ; sa vue et sa puissance sont à la mesure de l'univers et de l'éternité, car, ainsi que l'a magnifiquement exprimé Ésaïe, il prépare les choses « de loin » et dirige l'histoire « de toute éternité » (Esa 22:11 37:26). « Échappant aux voluptueux embrassements du mysticisme, aux incertitudes des audacieuses spéculations métaphysiques, aux risques même de l'expérience morale, la foi d'Israël a situé Dieu en pleine histoire, donnant à celle-ci un caractère nettement téléologique. » (P. Humbert.)

Ainsi, par Ésaïe, s'affirme dans la prédication des prophètes la doctrine que l'histoire universelle est un vaste poème de vie, de moralité et de salut, dont Dieu est le poète, et l'homme le héros. Héros tantôt voyant et tantôt aveugle, tantôt bénévole et tantôt récalcitrant, mais toujours ramené aux fins du drame par le divin metteur en scène.

On a dit que la religion d'Ésaïe était insuffisamment dégagée du sentiment patriotique et que, pour lui, Jérusalem demeurerait toujours l'intangible centre du monde. Ceci ne serait pas pour diminuer la valeur de ses oracles puisque effectivement c'est à Jérusalem que Jésus devait mourir sur la croix, vers laquelle convergent depuis les regards de toute la terre ; (cf. Jn 12:32) mais rien n'autorise à inférer des écrits d'Ésaïe qu'à la suite de la délivrance miraculeuse qu'il avait obtenue pour Jérusalem au temps d'Ézéchias, il avait enseigné que Sion ne devait jamais être prise ni ruinée. Le préjugé né de son exploit et contre lequel se heurteront Jérémie et Ézéchiel n'engage en rien sa responsabilité.

Une des faiblesses de la reconstruction de l'histoire d'Israël par la critique moderne, c'est qu'elle ne tient pas un compte suffisant de l'impression produite dans les deux royaumes par la prédication et par l'action des prophètes du VIII e siècle. Le réquisitoire d'Amos, la prédication de l'amour par Osée, la doctrine de sainteté développée par Ésaïe, et surtout son grand oracle messianique ne pouvaient pas ne pas donner à la politique religieuse et sociale des Hébreux plus qu'une secousse : une orientation nouvelle.

LES DISCIPLES D'ÉSAÏE ET LE DEUTERONOME.

Il est certain que le rôle d'Ésaïe, lors du siège de Jérusalem par Sanchérib, suppose qu'il obtint à ce moment critique une de ces unités de direction qui s'opèrent aux heures les plus fécondes de l'histoire et que nous appelons l'union sacrée. C'est non seulement la cour et ses conseillers, mais aussi le temple et son clergé qui durent lui prêter appui, se surpassant ainsi au point de vue spirituel. Que les dirigeants du sacerdoce acceptèrent alors de prendre une attitude qui faisait d'eux les collaborateurs du milieu des prophètes jéhovistes, c'est ce qui ressort de la réforme religieuse opérée par Ézéchias, réforme dont l'acte principal fut la suppression du nehustan, le serpent d'airain (voir art.) que les Israélites pieux révéraient comme l'antique symbole de la guérison par la foi et qui était la principale attraction du temple où l'on avait pris l'habitude de l'encenser comme une idole (2Ro 18:4).

En ce temps-là, le Dies iroe d'Amos et d'Osée, confirmé par les ruines fumantes de Samarie, avait impressionné profondément tous les coeurs qui avaient quelque, souci de l'avenir de Juda. Une page insérée dans le livre d'Ésaïe peut nous donner une idée de la consternation générale :

La malédiction dévore le pays,

Ses habitants expient leur crime...

La joie des tambourins a cessé,

La gaieté bruyante a pris fin...

On ne boit plus de vin en chantant...

L'allégresse est bannie du pays ! (Esa 24:6,9,11)

Que faire pour arrêter le glissement fatal qui mène toute la nation élue à sa ruine ? Par quelles mesures arrêter le jugement en marche ? La levée du siège de Jérusalem apparaît comme un délai de grâce au cours duquel s'agitent et se consultent tous ceux qui veulent relever la religion de Jéhovah.

Un morceau de caractère intime et de style obscur qui coupe en deux la sourate d'Emmanuel nous révèle que l'effervescence était grande dans l'entourage d'Ésaïe et qu'un travail de redressement se préparait autour de lui, plus ou moins en secret, loin de la masse du peuple qui manquait de vision religieuse et redoutait tout acte de foi jéhovique comme un danger pour la patrie.

Ainsi m'a parlé Jéhovah,

Quand sa main me saisit,

Et qu'il m'avertît de ne pas marcher

Dans la voie de ce peuple :

N'appelez pas conjuration

Tout ce qu'il appelle conjuration !

Ne craignez pas ce qu'il craint.

Car c'est Jéhovah Tsebaoth

Que vous devez sanctifier,

Lui que vous devez craindre et redouter.

Alors, il sera un sanctuaire...

Lie le témoignage,

Scelle la thora

Dans mes disciples !

A la loi et au témoignage !

Si l'on ne parle pas ainsi,

Il n'y aura point d'aurore pour le peuple !

(Esa 8:11-14,16,20)

L'interprétation courante qui rattache « lie le témoignage » et « scelle la thora » au tableau dont il est question dans Esa 8:1 réduit singulièrement la portée de tout ce passage d'Ésaïe et lui ôte son mordant spirituel. Qu'on entende par « lier et sceller » le devoir d'imprimer fortement le témoignage (c-à-d, le Décalogue ; voir Esa 8:20, cf. Ex 25:21) et la thora (c-à-d, l'enseignement jéhoviste ; cf. Esa 1:10) dans le coeur des disciples d'Ésaïe que Jéhovah appelle ses propres disciples, --ou qu'on traduise « lie » par : mets ensemble tout ce qui concerne le témoignage, et « scelle » par : mets le sceau à la thora (c-à-d. : donne-lui son couronnement ; cf. Eze 28:12) avec le concours de mes disciples, --dans un cas comme dans l'autre, le texte ramène à l'entourage d'Ésaïe, par lequel le prophète voulait provoquer un redressement religieux en Israël. « Comme le Deutéronome, les écrits d'Ésaïe semblent être le résultat d'un désir irrésistible de faire pénétrer dans Israël un nouvel idéal » (Siebens). L'idéal d'un culte spirituel d'où les images, les figures plaquées de métal et toutes les pratiques apparentées aux rites idolâtres auront disparu (Esa 30:22) ne pouvait que travailler l'ambition du milieu prophétique qui venait de se montrer assez fort pour obtenir la destruction du serpent d'airain, et que ses succès poussaient à de nouvelles réformes.

Amos a ébranlé l'autorité des hauts-lieux ; Osée les a condamnés ; Ésaïe proclame en Jéhovah le Dieu saint et en Jérusalem le sanctuaire de sa gloire, le lieu de sa résidence : (Esa 4:3 8:18 28:16 31:4,5,9) nous avons ici tout le processus des idées qui, à la faveur des événements, devaient aboutir à la composition du Deutéronome, c'est-à-dire d'une thora qui, en ramenant Juda au témoignage mosaïque, lui ferait entendre à nouveau la voix encore amplifiée du fondateur de la nation. En même temps qu'elle se rattachera au passé le plus sacré pour les coeurs israélites, cette thora devra tenir compte des habitudes prises durant les siècles écoulés et des expériences faites, et s'adapter aux circonstances, formulant en un code les obligations auxquelles le peuple judéen devra se conformer s'il veut conjurer les effets du jugement qui a déjà causé la ruine de Samarie.

Tandis que Manassé, vassal digne des férocités de son suzerain d'Assyrie, remplissait Jérusalem de sang innocent (2Ro 24:4, cf. Jer 15:4), le parti des prophètes préparait dans l'ombre la revanche de Jéhovah. Il connaissait le Décalogue et le code de l'Alliance (Ex 20 à 23), les lois de Sainteté (Le 18 à 20 et 24) et les dernières recommandations de Moïse que la tradition rattachait aux plaines de Moab. Il en reprit les principes : monothéisme intransigeant, alliance jéhovique fondée sur la morale, promesses et menaces conditionnées par l'attitude du peuple, unité du sanctuaire, fêtes religieuses, humanité, charité. Sur plus d'un point, il étendit ; pour répondre aux besoins nouveaux, il fit passer dans la loi les enseignements des récents prophètes : d'abord le commandement de l'amour développé par Osée et dans lequel s'accomplit, bien mieux que dans l'observance extérieure, le service agréable à Dieu : Parce que Dieu t'aime tu dois l'aimer (De 6:5,11:13 4:37 10:15 7:8, 13 23:5 30:6,16 7:9 10:12, etc.) ; puis, d'après Ésaïe, l'humilité (De 8:11,14 17:18-20 9:4), la foi mystique en la victoire donnée non par la supériorité de l'armée, mais par la protection agissante de Jéhovah (De 20:1 et suivants, cf. Esa 8:6 31:1 et suivants) ; enfin, de façon générale, les lois d'humanité. (cf. Am 5:11 6:4 7:10 et suivants, etc.) Le souci que le Deutéronome (ch. 10, 14, 16) prend de l'orphelin et de la veuve vient directement de Esa 1:17. La charte nouvelle ramenait les institutions de l'avenir autant que possible à la théocratie. Tout, jusqu'aux statuts de la propriété, qui donnaient le sol à Dieu, y était dominé par la notion de la majesté de Jéhovah qu'Ésaïe avait mise au premier plan et suivant laquelle ses disciples voulaient modeler Israël.

Les critiques qui veulent que le Deutéronome soit une fraude pieuse et qu'il ait pour origine une intrigue de sacristie du temps de Josias (Renan, Stade, Loisy, etc.) méconnaissent l'importance des traits que nous venons de signaler et le sérieux de l'A.T. Ils commettent en outre une grave faute de psychologie. S'imagine-t-on que si les éléments jéhovistes de Juda n'avaient pas retrouvé dans le statut qui leur était proposé les exhortations et le développement des doctrines que leurs traditions faisaient remonter au père de leur peuple, la découverte du Deutéronome et sa lecture auraient secoué le roi, les grands, le peuple au point de provoquer une nouvelle réforme et d'inspirer la prédication de Jérémie ? La fiction n'a jamais fait oeuvre de vie dans l'histoire, et c'est sous-estimer la dignité de l'homme que de supposer que le mensonge peut entrer parmi ses moyens de progrès.

La situation se présente tout différemment si l'on voit dans le Deutéronome, comme nous y invite Esa 8:16,20, l'oeuvre des disciples du fils d'Amots, exaltés dans leur zèle par la persécution et décidés à préparer, pour le moment où elle prendrait fin, une charte conçue dans l'esprit des prophètes, une constitution organisant le peuple suivant ce que leur maître avait appelé de la part de Dieu : le témoignage et la thora. Le danger de laisser trop de liberté aux pratiques cultuelles s'était manifesté par le baalisme populaire et le formalisme. Prêtres et prophètes venaient, au temps d'Ézéchias, d'accomplir ensemble une oeuvre courageuse de redressement, et d'obtenir par une commune foi le salut de Jérusalem. Le moment était bien choisi pour rétablir par des concessions mutuelles le statut religieux de Juda. Partant ensemble des institutions de Moïse, les prophètes s'accommodèrent aux pratiques d'un culte centralisé et surveillé ; les prêtres, de leur côté, renoncèrent aux autels jéhovistes de la province et concentrèrent les actes cultuels autour du temple de Jérusalem. Le droit au sacrifice retiré aux laïques n'est même plus accordé à l'ensemble de la tribu de Lévi : les prêtres de Jérusalem auront désormais tout le sacerdoce, ils veilleront aux exigences légales. Et ce sera le commencement du légalisme, dans l'atmosphère prophétique. Pour le moment, l'entreprise de concentration et de spiritualisation que résume le Deutéronome montre que la prédication d'Amos, d'Osée et d'Ésaïe a porté. Bien que cette entreprise réformatrice ait été dans sa forme une occasion d'éloigner Dieu de la terre et de séparer l'office sacerdotal des institutions patriarcales--ce qui aura pour résultat d'établir deux parts dans la vie : le sacré et le profane--, on peut voir dans le Deutéronome le dénouement du grand effort accompli par les prophètes au VIII e siècle avant notre ère. Sans Manassé, dont le long règne fit crouler toutes les espérances, on aurait peut-être assisté à un vrai renouveau de la vie spirituelle dans le sens antiritualiste. Et pourtant, les conditions mêmes dans lesquelles le Deutéronome était conçu annonçaient déjà la défaite du spiritualisme. Le parti des prêtres, entrés dans la coalition pour le redressement de la foi, avait marqué de légalisme la réforme à venir, en mettant tout ce qui concernait le réveil et la piété israélites sous le signe des statuts, des lois et des ordonnances. Le pont était ainsi jeté entre la thora de Jéhovah et la législation des scribes. En vain le parti des prophètes faisait-il inscrire dans la loi réformatrice des paroles de haute portée morale (De 20 : et suivants 30:15 et suivants), la voie était ouverte au prêtre qui voudrait matérialiser la parole vivante de Jéhovah et réduire le jéhovisme en formules et en actes ritualistes.

Les prophètes qui vont venir sauront signaler le danger, mais ils n'auront pas la force de le conjurer.

MICHEE.

C'est à proclamer les droits de l'Esprit que s'emploie Michée dans une page (ch. 6) que la critique moderne lui conteste, mais qu'il peut fort bien avoir écrite s'il a prolongé son ministère durant les premières années de Manassé. Michée, provincial comme Amos et Judéen comme lui, avait repris l'âpre combat de son compatriote. Après avoir fulminé contre le royaume du Nord dont l'exemple pernicieux avait contaminé Juda (19), il s'en prend aux iniquités sociales de Jérusalem avec une violence qui va jusqu'à prédire la ruine de la ville sainte :

Sion sera labourée comme un champ ; Jérusalem deviendra un monceau de pierres, Et la montagne du temple Une sommité boisée. (Mic 3:12, cf. Jer 26:11-19).

Cette prophétie, portée courageusement par Michée devant le peuple au temps du roi Ézéchias, provoqua un tel émoi qu'on en parlait encore au temps de Jérémie. Certains critiques modernes ont conclu de la prédication de Michée que celui-ci avait combattu l'optimisme de son contemporain Ésaïe relativement à l'inviolabilité de Sion. C'est aller un peu loin. Mais il est assez probable que le prophète campagnard ne partagea pas les espérances que fondait le prophète citadin sur la trêve obtenue entre les prophètes et le clergé de la capitale. L'intransigeance spiritualiste qui se dégageait de ses violentes paroles sur la ruine de Jérusalem ameuta contre Michée le parti des prophètes nationalistes qui n'avaient point trouvé leur compte aux catastrophes du royaume de Samarie et auxquels l'union sacrée de leurs alliés habituels les prêtres avec leurs constants adversaires, les prophètes jéhovistes, ne disait rien de bon. Déjà, au temps de Josaphat, un autre Michée, le fils de Jimla, avait eu affaire à eux (1Ro 22). Ils s'opposent de toutes leurs forces à Michée de Moréseth qui, dans sa lutte avec eux, nous révèle le néant de leurs entreprises et le secret de sa propre vigueur :

Ne prophétise pas ! disent-ils.

Mais qu'un homme de rien,

Qu'un prédicateur de mensonge

[Dise] : « Je vais prophétiser

Exalté par le vin

Ou par les boissons enivrantes »,

Celui-là sera pour ce peuple un prophète !

Ainsi parle Jéhovah

Sur ces prophètes d'égarement :

Vous aurez la nuit,

Plus de visions ;

Vous aurez les ténèbres,

Plus d'oracles !

Le soleil se couchera sur ces prophètes...

Les voyants seront confus,

Les devins rougiront...

Car Dieu ne répondra pas.

Tandis que moi, je suis rempli de force,

De l'Esprit de Jéhovah (Mic 2:6,11 3:5-8).

Voilà le grand mot lancé : le prophète authentique, c'est l'homme de l'Esprit. Devons-nous conclure que, lorsque les disciples d'Ésaïe se mirent à l'oeuvre avec les chefs du sacerdoce pour établir le statut du Deutéronome, Michée entrevit le danger que cette union pourrait faire courir au jéhovisme des temps futurs ? Sa lutte contre la fausse prophétie, les devins et les voyants établit une solidarité incontestable entre sa pensée et les préoccupations d'où le Deutéronome est sorti. (cf. De 18:10,22) Mais que, pour lui, dans la religion dont il appelle la restauration, le culte ne soit rien et que la morale soit tout, c'est ce que nous voyons non moins clairement par la sourate relative au temps de Manassé. Ce tyran, dont le règne fut aussi long que néfaste (698-643), avait ouvert le temple de Jérusalem à toutes les influences assyro-babyloniennes ; la déchéance morale avait suivi la déchéance religieuse :

On observe les coutumes d'Omri,

Toutes les moeurs de la maison d'Achab,

L'homme de bien a disparu du pays (Mic 6:16 7:2).

Tandis que le milieu réformateur, dont la persécution avait serré les rangs, prépare dans l'ombre la charte des temps nouveaux, les formalistes, qui cherchent la sécurité dans la stricte observance, se demandent tout éperdus :
Avec quoi me présenterai-je

Devant Jéhovah,

Pour m'humilier devant le Très-Haut ?

Me présenterai-je avec des holocaustes,

Avec des veaux âgés d'un an ?

Jéhovah agréera-t-il des milliers de béliers,

Des myriades de torrents d'huile ?

Donnerai-je pour mes transgressions

Mon premier-né ?

Pour mon péché

Le fruit de mes entrailles ?

Michée répond :

-On t'a fait connaître, -ô homme,

Ce qui est bien,

Et ce que Jéhovah demande de toi,

C'est que tu pratiques la justice,

Que tu aimes la miséricorde,

Et que tu marches humblement

Avec ton Dieu (Mic 6:6-8).

Le prophète auquel nous devons ce bref dialogue a surpassé tous ceux qui étaient venus avant lui : il a fixé la formule de la religion jéhovique dont Jésus dira un jour à la Samaritaine : « L'heure est venue où vous n'adorerez plus le Père, ni sur cette montagne, ni à Jérusalem... Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité » (Jn 4:21,24).

SOPHONIE.

Mais pour le moment, il faut en rabattre. Le long règne du monarque impie et persécuteur a ramené partout l'idolâtrie. Pendant un demi-siècle, la prophétie se tait. Sous Manassé vieillissant ou durant l'éphémère royauté de son fils Ammon, vers 640, elle rentre en scène avec Sophonie, prince du sang, prophète de la grande lignée des Amos, des Osée, des Ésaïe et des Michée. Dans ses brefs discours, la reprise de contact des nabis avec Juda démoralisé est terrible :

Je détruirai tout ! dit Jéhovah,

Les objets de scandale et les impies avec ;

J'exterminerai de ce lieu les restes de Baal...

Et ceux qui se prosternent sur les toits

Devant l'armée des cieux...

Je châtierai les princes

Et les fils du roi (Sop 1:2,8).

Josias venait de monter sur le trône à huit ans, et l'autorité était entre les mains des princes de la famille royale.

Cent ans après Amos qui parlait à Israël, Sophonie parle à Juda de ce que sera « le jour de Jéhovah » :

Il approche, il se hâte,

On l'entend venir, le jour de Jéhovah !

Jour de fureur, celui-là,

Jour de détresse et d'angoisse,

Jour de désolation et de ruines,

Jour de ténèbres et d'obscurité...

Au jour de la fureur de Jéhovah,

Par le feu de sa jalousie,

Toute la terre sera dévorée (Sop 1:14,18).

Solvet soeclutn in favilla... Tout le Moyen âge a frémi aux accents de Sophonie. L'effet sur Juda dut être foudroyant. Nul doute que le jeune roi, Josias, et le futur prophète, Jérémie, n'aient reçu de ces imprécations une secousse qui les mit sur la voie de la réforme.

HABACUC ET NAHUM.

Mais pour les jéhovistes, il y a encore un autre compte à régler. L'Assyrien, dont le joug détesté pesait sur Jérusalem depuis la campagne de Sanchérib, vers l'an 700, a reçu des Mèdes et des Scythes des coups qui menacent sa vie. Juda frémit d'impatience, et c'est Habacuc qui exprime en un style étincelant ses farouches espoirs. Habacuc est un révolté à la façon de Job :

Jusques à quand, ô Jéhovah ?

J'ai crié vers toi à la violence,

Et tu ne secours pas...

O Jéhovah, tu as établi ce peuple

Pour exercer tes jugements.

(Il s'agit de l'Assyrien, que Jéhovah avait appelé « verge de ma colère ») (Esa 10:5).

Tu l'as suscité pour infliger tes châtiments...

Tes yeux sont trop purs pour voir le mal :

Pourquoi regarderais-tu les perfides,

Et te tairais-tu,

Quand le méchant dévore

Un plus juste que lui ? (Hab 1:1,2,12,13)

A cette sommation, Jéhovah répond qu'il enverra les Caldéens pour châtier les Assyriens (Hab 1:5,11, qui doit nécessairement être transposé après 2:3, à cause de 1:5 et de 2:3), mais en même temps il exhorte Habacuc à la patience :

Ecris la prophétie,

Grave-la sur des tables ;

Son temps est déjà fixé...

Si elle tarde, attends-la,

Car elle s'accomplira (Hab 2:2).

Et il lui inspire une parole qui, pas plus que cette autre : « Tu as les yeux trop purs pour voir le mal », ne devait s'effacer de la mémoire des hommes : « Le juste vivra par sa foi » (Hab 2:4 ; cf. Ro 1:17, Ga 3:11, Heb 10:38).

Quand « la prophétie » sera réalisée, en 612, Nahum, dans un ardent écrit--où l'on doit sans doute retrouver une composition liturgique célébrant à Jérusalem l'exaucement accordé (P. Humbert, « Le problème du Livre de Nahum », Rev. Strasb., janv. -fév. 1932) plutôt qu'un oracle antérieur à la chute de Ninive--, exalte en Jéhovah celui qui a annoncé, préparé et accompli la destruction du colosse assyrien :

Jéhovah est bon ;

II a détruit la ville,

Il a poursuivi ses ennemis.

L'oppression ne s'appesantira pas deux fois ;

Ils ont été consumés comme la paille,

Entièrement (Na 1:7-10).

Voici sur les montagnes

Les pieds du messager qui annonce la paix.

Célèbre tes fêtes, ô Juda !

Accomplis tes voeux !

Le méchant ne te foulera plus ;

Il a été entièrement exterminé. (Na 1:15).

Tous ceux qui ouïssent la nouvelle

Applaudissent,

Car sur qui ne s'est pas acharnée

Ta méchanceté ? (Na 3:19)

La valeur religieuse du livre de Nahum, que ceux qui le considèrent comme une prophétie ont tendance à diminuer, à réduire presque à rien, est toute remise en lumière si on la considère comme une composition à intention cultuelle, une sorte de péan liturgique, où toutes les voix jéhovistes, celle de l'inspiration prophétique, celle du patriotisme sacerdotal et celle des « humbles du pays » s'unissent (comme on voit parfois dans les psaumes) pour célébrer à l'occasion de la catastrophe ninivite, qui libéra d'un joug odieux tout le moyen Orient, la toute-puissance de Jéhovah, sa fidélité dans les promesses et sa maîtrise sur l'histoire.

JEREMIE.

Dans les temps troublés qui s'écoulèrent entre Habacuc et Nahum, un grand événement religieux s'était accompli, celui que les disciples d'Ésaïe avaient souhaité, préparé, et auquel Jérémie, dans les premières années de son ministère, prêta l'appui de sa parole et de son action : la réforme deutéronomique

Nous avons vu qu'après le temps d'Ézéchias et d'Ésaïe, on avait, d'un commun effort, en gardant l'essentiel des traditions prophétiques et des traditions sacerdotales, rétabli et développé le testament de Moïse dans les exhortations du « Livre du Pacte », le Sepher habberith (2Ro 23,2Ch 34 ; allusion au pacte, berith, de De 5:2 29:1), appelé aussi le « Livre de la Loi » ou « de la doctrine », le Sepher hatthora (De 31:26,2Ro 22:8, cf. De 31:9,24). Ce livre devait être déposé dans le temple à côté de l'Arche d'alliance de Jéhovah (De 31:26). Mais qu'était devenue l'Arche de l'alliance au cours du règne de Manassé, le roi impie et sanguinaire qui, après avoir rebâti les hauts-lieux, avait livré le temple de Jéhovah aux cultes idolâtres ? (2Ro 21) On peut penser que les jéhovistes l'avaient mise à l'abri de la profanation dans quelque coin ignoré du sanctuaire et qu'on avait aussi caché le Livre de la Loi. Quand les temps d'obscurité et de persécution eurent disparu, la remise en état du temple fut sans doute commencée, d'abord timide, dans les premières années de Josias... Ainsi vint le jour (621) où Hilkija, le grand-prêtre, put donner au secrétaire Saphan la grande nouvelle : « J'ai trouvé le Livre de la Loi dans la maison de Jéhovah ! » (2Ro 22:8).

C'est à tort que certains critiques ont attribué à Jérémie une part dans la composition du Deutéronome et dans l'initiative de la réforme qui suivit sa découverte. Jérémie n'habitait pas Jérusalem. Il appartenait à une famille sacerdotale depuis longtemps éloignée de la cour. Or, tout semble prouver que la réforme de Josias, différente en ceci de celle d'Ézéchias, fut avant tout une entreprise des fonctionnaires qui entouraient le roi, tandis que Jérémie, par les termes mêmes de sa vocation (Jer 1:18), paraît avoir été envoyé par Dieu à Jérusalem pour représenter dans la réforme et au besoin pour défendre devant le roi l'intention première du Deutéronome : l'inspiration prophétique de la charte retrouvée. Aussi le verrons-nous fort sévère, non certes à l'égard du « Pacte », qu'il recommande de toutes ses forces, mais à l'égard des prêtres et des scribes qui, sans se soucier du côté moral et spirituel de la réforme, ne voient en elle qu'une occasion d'imposer une législation sacerdotale au nom de Jéhovah et d'acquérir par elle un accroissement d'autorité (Jer 8:7,5:1 6:6 7:25 9), Jérémie avait été appelé par Jéhovah en 626 (Jer 1:4,19). Dès ce moment, laissant tout pour obéir (Jer 17:16), il entreprit dans les bourgs et les villes des tournées de prédication. Il le fit dans l'esprit des prophètes du VIII° siècle, surtout dans celui d'Osée :

Par sa criante impudicité, Israël a souillé le pays ; elle a commis adultère avec la pierre et le bois. Malgré tout cela, la perfide Juda, sa soeur, n'est pas revenue à moi de tout son coeur, et c'est avec fausseté qu'elle l'a fait, dit Jéhovah.

L'infidèle Israël paraît innocente

Auprès de la perfide Juda... (Jer 3:9 et suivant)

Quand, en 621, la réforme éclata, Jérémie se donna à elle avec toute la flamme qui dévorait son âme sensible. Nous en avons la preuve, non seulement dans ses discours (ch. 4-6), mais dans l'influence que la langue même du Deutéronome exerça sur lui. Comme génie réformateur, il fut donc le continuateur d'Ésaïe. Cependant, tout est contraste entre ces deux hommes. L'un se donne joyeusement à l'apostolat, l'autre est contraint d'y entrer malgré sa résistance ; l'un commande aux événements, l'autre est victime des circonstances ; celui-là s'impose aux foules et à la cour, celui-ci reste incompris des masses et subit la disgrâce des rois ; Esaïe est entouré de disciples, Jérémie a Baruc, que l'isolement décourage. Le premier contemple la majesté divine et affermit l'ancienne alliance ; le second « découvre le coeur humain » et annonce la nouvelle alliance. En un sens, il la préfigure. Déjà, sa vocation lui apprend qu'il sera « une occasion de chute et de relèvement, un signe de contradiction » (rapprocher Jer 1:10 et Lu 2:34).

Autre trait qui marque non pas un déclin, comme on l'a dit, mais au contraire un progrès vers la compréhension de la pensée divine : Jérémie, chez qui l'inspiration, l'illumination intérieure ne sont pas moindres que chez son devancier Ésaïe (Jer 4:13 5:13 6:11 8:16 10:22 23:9), ne se présente pas comme lui avec l'impétuosité du prophète qui, subjugué par la possession divine, parle sans se soucier d'autre chose que d'annoncer les décrets du Dieu qui a fait irruption dans sa vie. L'origine du mandat ne lui suffit plus, il faut que le mandat soit légitimé par l'accomplissement de la prophétie (Jer 28:9, cf. De 18:21 et suivant). La réflexion rejoint l'inspiration et parfois la contrôle. En outre, le sentiment se fait jour, et la sympathie pour l'homme pénètre les paroles de Dieu et celles de son mandataire (Jer 8:18 9:1 13:17 21:10 13:9,14:17). Enfin les actes symboliques jouent un rôle plus accentué (Jer 27:2 28:10 32:6 43:9). D'un mot, la prophétie s'humanise, la religion s'individualise : Jérémie fraie la voie à l'Évangile (Jer 31:31) au point que les compatriotes de Jésus prendront celui-ci pour Jérémie ressuscité (Mt 16:14). Hölscher (Propheten, pp. 294-297) a bien entrevu les caractères distinctifs de Jérémie, mais le radicalisme de sa critique qui refuse au prophète d'Anathoth plusieurs chapitres essentiels Jer 7:15 11:1-14 31:31-37 le met dans l'impossibilité de pousser le portrait de Jérémie jusqu'à l'entière ressemblance.

Jéhovah avait, par Ésaïe, offert le pardon à Israël. (Esa 1:18) Le Deutéronome, continuant dans la même ligne, mettait comme condition à tout culte jéhovique : la circoncision du coeur. (De 10:16 30:6) Mais on sait que cela doit être entendu dans un sens collectif. Comme la loi avait dit : « Écoute, Israël », le repentir attendu, le pardon promis concernent Israël, la nation à qui, seule, est destiné un avenir glorieux, « Comme le dit Wellhausen : Il suffit que le peuple vive éternellement. Sur l'individu passe la roue de l'histoire ; pour lui, il ne reste que le sacrifice, mais point d'espérance. Sa seule récompense est dans la prospérité de la nation. » (A. Causse). Jérémie a commencé son ministère dans cette attitude héroïque ; c'est Israël, Juda, en tant que peuple élu, qu'il a traités d'adultères ; c'est à Juda maintenant qu'il demande la circoncision du coeur, condition du pacte deutéronomique :

Écoutez les paroles de ce Pacte...

Maudit soit qui n'écoute point

Les paroles de ce Pacte

Que j'ai prescrit à vos pères,

Le jour où je les fis sortir

Du pays d'Egypte,

De la fournaise de fer... (Jer 11:1-4, cf. De 29:1).

Jéhovah me dit :

Publie toutes ces paroles

Dans les villes de Juda

Et dans les rues de Jérusalem,

Et dis :

Ecoutez les paroles de ce Pacte

Et mettez-les en pratique ! (Jer 11:6)

Défrichez-vous un champ nouveau,

Et ne semez plus parmi les épines ;

Circoncisez vos coeurs,

De peur que ma colère

N'éclate comme un feu,

Et ne s'enflamme

Sans qu'on puisse l'éteindre ! (Jer 4:3 et suivant)

Mais il s'aperçut bientôt que le milieu qui avait lancé la réforme voyait les choses autrement. Le lien entre les prêtres et les prophètes nationalistes s'était renoué. (cf. Jer 26:7 et suivant) La masse du peuple, les castes sacerdotale et militaire, les faux prophètes, préoccupés par les événements politiques, supportaient malaisément l'intransigeance et les principes austères du prédicateur d'Anathoth. Ils le regardaient comme un patriote suspect... Tout à coup, la catastrophe de Méguiddo (609) achève de lui retirer tout crédit. Le roi réformateur est tué au cours d'une action de fidélité, puisqu'il tente d'arrêter le pharaon Néco qui vole au secours de l'Assyrien exécré (cf. Josèphe, Ant., X, 6). Que valent donc les promesses du Deutéronome ? Les parties prophétiques du Pacte furent rejetées dans l'ombre et l'on ne s'occupa plus que d'en renforcer la partie cultuelle, qui n'empêchait point la politique des alliances étrangères et des conjurations de suivre son cours.

Alors Jérémie rompt avec prêtres et prophètes et prononce devant les portes du temple son grand discours (Jer 7 à Jer 9, et Jer 10:17-25).

Ne vous livrez pas à des espérances trompeuses

En disant : C'est ici le temple de Jéhovah,

Le temple de Jéhovah, le temple de Jéhovah ! (Jer 7:4)

Mon peuple ne connaît pas

La thora de Jéhovah.

Comment pouvez-vous dire :

Nous sommes sages,

La thora de Jéhovah est avec nous ?

En vain s'est mise à l'oeuvre

La plume mensongère des scribes...

Ils ont méprisé la parole de Jéhovah.

Depuis le prophète jusqu'au prêtre,

Tous usent de tromperie...

Les prophètes prophétisent le mensonge...

Je ne les ai pas envoyés...

Je ne leur ai point parlé !

Fausses visions, vaines divinations,

Tromperies de leur propre esprit :

Voilà ce qu'ils vous prophétisent ! (Jer 8:7-10 14:14).

Jérémie reprend l'argument d'Amos : Jéhovah ne vous a jamais demandé de l'adorer par les cérémonies d'un culte.

Ajoutez holocaustes à sacrifices, Et mangez-en la chair !

Car je n'ai point parlé à vos pères Et je ne leur ai point donné d'ordres, Lorsque je les ai tirés d'Egypte, Au sujet d'holocaustes et de sacrifices. Voici l'ordre que je leur ai donné : Écoutez ma voix et je serai votre Dieu, Et vous serez mon peuple (Jer 7:21-23).

Ces dernières paroles sont le pendant de la déclaration de Mic 6. Le cadre historique de ce discours capital se trouve dans Jer 26. On y voit en toute clarté la collusion entre les prêtres et les prophètes nationalistes et la preuve qu'ils étaient ensemble les pires ennemis des prophètes jéhovistes (Jer 26:11). Sans le peuple et les chefs politiques, Jérémie aurait payé de sa tête la hardiesse de ses propos. (cf. Jer 7:14) Il fut heureux que ce jour-là le roi se trouvât absent, car Jéhojakim, sur l'insistance des prêtres et des prophètes, eût sans doute traité Jérémie comme le prophète Urie qu'il avait fait extrader d'Egypte et mis à mort, parce qu'il avait prédit, lui aussi, la ruine de Jérusalem (Jer 26:20-23). Espérant encore sauver son peuple, Jérémie, seul, entreprend une lutte de titan contre toutes les forces conjurées. Quand il tonne contre le formalisme religieux, prêtres et prophètes se liguent pour le perdre. Quand il recommande l'observation de la foi jurée au suzerain, les chefs politiques l'accusent d'être traître à la patrie. Quand il annonce à Sédécias que la justice de Jéhovah s'accomplira, non par des victoires sur le champ de bataille, mais par la ruine de Jérusalem punie pour ses péchés, on le jette dans un cachot. Sa conscience prophétique est mise en passion. Avec son roi sans force, sa politique sans parole et sa religion sans morale, le peuple de Dieu se précipite dans une impasse au fond de laquelle il va briser son destin. Mais Jéhovah ne peut être acculé à une impasse. Ne plus parler de lui serait avouer sa défaite. Jérémie ne le peut. Et c'est ainsi que par ses combats, par ses déceptions, par les obstacles accumulés devant lui, il est amené par Dieu au grand virage qui le détournera de la route suivie par l'Israël selon la chair et lui découvrira les horizons de l'Israël selon l'Esprit.

Un Éthiopien peut-il changer sa peau

Et un léopard ses taches ?

Alors, comment pourriez-vous faire le bien,

Vous qui n'avez appris qu'à mal faire ? (Jer 13:23)

On ne peut changer sa nature... Peut-être le récit de la Chute a-t-il éclairé à ce moment-là la conscience de Jérémie. Et, si le Ps 51 existait de son temps, du moins sous sa forme première en trois strophes (Ps 51:3,19), il a pu voir dans les versets 7et8 la vérité qu'il vient d'exprimer et la nécessité qui lui inspirera la prophétie par laquelle il couronne sa théologie. Puisque l'Israélite, comme tous les autres hommes, a été conçu dans le péché et puisque Jéhovah, qui l'aime « d'un amour éternel » (Jer 31:3), veut l'amener au salut, il faut que, par une initiative nouvelle, Dieu intervienne dans l'histoire et qu'il obtienne de l'individu ce qu'il n'a pu obtenir de la collectivité.

Voici, le jour vient,

Dit Jéhovah,

Où je ferai avec la maison d'Israël

Et avec la maison de Juda

Une alliance nouvelle,

Non comme l'alliance

Que je traitai avec leurs pères...

Alliance qu'ils ont violée,

Quoique je fusse leur maître, dit Jéhovah ;

Mais voici l'alliance que je ferai :

Je mettrai ma loi au dedans d'eux,

Je l'écrirai dans leur coeur.

Alors je serai leur Dieu,

Et ils seront mon peuple.

Celui-ci n'enseignera plus son prochain,

Ni celui-là son frère,

En disant : Connaissez Jéhovah !

Tous me connaîtront,

Depuis le plus petit jusqu'au plus grand,

Car je pardonnerai leur iniquité (Jer 31:31-34).

Jérémie s'est-il représenté ce que serait cette alliance ? En a-t-il entrevu le drame historique ? Mystère. Et pourtant la révélation est là. Avant d'être entraîné de force en Egypte où, dit la tradition, ses compatriotes le lapidèrent pour se venger de ses prédictions, le vieux prophète a donné au inonde le principe même de l'Évangile : par l'initiative de la miséricorde divine, une nouvelle alliance, non plus une alliance extérieure, collective, envisagée sous l'angle de la solidarité nationale et conditionnée par un statut social, mais une alliance intérieure, individuelle, réalisant par la libre adhésion du coeur la communion spirituelle avec Dieu.

EZECHIEL.

Jeune prêtre appartenant sans doute à la famille aristocratique des Tsadokides, vouée depuis des siècles au service du temple, Ézéchiel a connu Jérémie, il l'a entendu. Son âme droite et croyante a dû en être troublée. Quand vinrent la prise de Jérusalem et l'exil qui sanctionnaient les prédictions du terrible censeur d'Anathoth, Ézéchiel, certainement, emporta en Caldée le sentiment que la cause du prophète était juste. Mais il ne devint lui-même prophète que sur terre étrangère, au milieu des dispersés de Juda. Plus de temple, plus de sacrifices ; une élite éplorée qui « suspend ses harpes aux saules de Babylone » et qui supplée à l'absence de culte par la ferveur de la pensée. Le milieu était propice au développement de l'individualisme inauguré par Jérémie. Ézéchiel ne sera plus un prophète qui s'oppose à un peuple, mais un apôtre qui fait de la cure d'âme :

Fils de l'homme, fils de l'homme, je t'établis comme sentinelle... Quand je dirai au méchant : « Tu mourras ! » si tu ne l'avertis pas, si tu ne parles pas pour détourner le méchant de sa mauvaise voie et pour lui sauver la vie, ce méchant mourra dans son iniquité, et je te redemanderai son sang. Mais si tu avertis le méchant et qu'il ne se détourne pas..., il mourra dans son iniquité, et toi, tu sauveras ton âme. (Eze 3:17,19 33:15).

Développant une parole de Jérémie (Jer 31:29), il polémise contre la vieille notion de solidarité nationale qui faisait porter aux innocents la peine des coupables. Ézéchiel est le prophète de la responsabilité individuelle et des conséquences qui en découlent :

Pourquoi dites-vous ce proverbe : « Les pères ont mangé des raisins verts et les dents des enfants en ont été agacées » ? Je suis vivant ! dit le Seigneur Jéhovah, vous n'aurez plus lieu de le dire. Voici, toutes les âmes sont à moi, l'âme du fils comme l'âme du père ; l'une et l'autre m'appartiennent ; l'âme qui pèche, c'est celle qui mourra... Si un homme a un fils qui voie tous les péchés que commet son père, qui les voie et n'agisse pas de la même façon..., celui-ci ne mourra pas pour l'iniquité de son père, il vivra. L'âme qui pèche, c'est celle qui mourra. (Eze 18:1,4,14,17,20, cf. chap. 5).

Il ne s'agit plus, avec Ézéchiel, du salut d'Israël en tant que nation, mais du salut de l'Israélite en tant que pécheur repentant :

Si le méchant revient de tous les péchés qu'il a commis,... toutes les transgressions qu'il a commises seront oubliées, il vivra... Ce que je désire, est-ce que le méchant meure ? dit le Seigneur Jéhovah. N'est-ce pas qu'il change de conduite et qu'il vive ? Revenez, détournez-vous de vos transgressions, afin que l'iniquité ne cause pas votre ruine... Faites-vous un coeur nouveau et un esprit nouveau... Je ne désire pas la mort de celui qui meurt, dit le Seigneur Jéhovah. Convertissez-vous et vous vivrez. (Eze 18:21,23,30-32 voir verset 10-20).

Israël ne vivra que par la fidélité d'individualités attachées de coeur à Jéhovah ; en ce sens, Ézéchiel continue le Deutéronome sans le nommer. (cf. De 30:15-20) Mais, où il le dépasse, c'est quand, reprenant l'idée de la nouvelle alliance lancée par Jérémie, il en précise la condition dans sa vision des ossements desséchés. L'Israël selon la chair est mort. Mais les desseins d'amour de Jéhovah ne sont pas anéantis pour cela. La puissance créatrice de l'Esprit qui vivifia jadis le chaos et qui, depuis, anima les hommes de Dieu, peut, sur l'initiative de Jéhovah, rendre la vie aux ossements desséchés :

La main de l'Éternel fut sur moi, il me transporta en esprit et me déposa dans le milieu d'une vallée remplie d'ossements... Ils étaient fort nombreux à la surface de la vallée et ils étaient complètement secs. Il me dit ; « Fils de l'homme, ces os pourront-ils revivre ? » Je répondis : « Seigneur Jéhovah, tu le sais. »

Il me dit : « Prophétise et parle à l'Esprit. Prophétise, fils de l'homme, et dis à l'Esprit : Ainsi parle le Seigneur, l'Éternel : Esprit, viens des quatre vents, souffle sur ces morts et qu'ils revivent ! » Je prophétisai selon l'ordre donné. L'Esprit entra en eus, ils reprirent vie et se tinrent sur leurs pieds. C'était une armée, une grande armée.

Il me dit : « Fils de l'homme, ces os sont toute la maison d'Israël... Je mettrai mon Esprit en vous, et vous vivrez. » (Eze 37:1-14).

Mais ici s'avère entre Ézéchiel et ses prédécesseurs une différence qu'il faut noter et caractériser. Quand les prophètes parlaient de renaissance dans les jours mauvais d'Israël, ils faisaient dépendre cette résurrection d'un changement dans les dispositions du peuple : « Repentez-vous, et alors... » Tandis que le pasteur des exilés annonce cette résurrection comme une initiative commandée à Dieu par son honneur. La gloire de Jéhovah est liée à la vie de son peuple. Il faut donc qu'il sauve celle-ci pour exalter celle-là. La grâce de Jéhovah aura pour effet et non pour cause le repentir d'Israël (Eze 36:22-38). Israël sera restauré ; Jérusalem, qui vient d'être détruite, sera relevée, et la nouvelle capitale, autour de laquelle les douze tribus seront groupées, s'appellera « Jéhovah est ici » (Eze 48:35). Cette prédication ramena à Ézéchiel la faveur des exilés. Le « faiseur de paraboles » (Eze 21:5) est devenu « le chanteur agréable » (Eze 33:32), et la critique moderne a raison de voir en Ézéchiel le précurseur du judaïsme. Mais il en est du Juif Ézéchiel comme du chrétien Augustin que protestants et catholiques revendiquent à bon droit, mais pour des raisons différentes, comme leur docteur. En taisant l'universalisme jéhovique, en développant le culte et la thora, en donnant une valeur aux sacrifices, Ézéchiel a ouvert la voie au particularisme, au légalisme, au ritualisme juifs ; mais en proclamant la miséricorde de Jéhovah, en réclamant de l'Israël nouveau des coeurs humiliés, convertis, pleins d'amour pour Jéhovah, en mettant comme condition à la vie future d'Israël la résurrection par l'Esprit, Ézéchiel ne s'est-il pas tenu dans la ligne des prophètes, ne l'a-t-il pas prolongée dans le sens de l'Évangile ? Car enfin, si les grâces du royaume de Christ sont conditionnées par le repentir et la conversion, la venue de Christ n'a pas dépendu d'un changement dans le coeur des hommes, Christ est venu à l'heure marquée par Dieu, et le changement des coeurs a été la conséquence, non la condition préalable de son incarnation sur la terre. Or, c'est bien cette réalité-là qui a été entrevue par Ézéchiel. C'est vers cette réalité où s'unissent la souveraine liberté de Dieu et sa miséricorde rédemptrice que nous orientent ensemble les paraboles, les prédications et les visions apocalyptiques du prophète de Tel-Abib. Certes, il avait été prêtre à Jérusalem, et son amour pour le temple, que remplissait à ses yeux la présence divine, a dominé toute sa vie... N'oublions pas, pour être justes, que la religion jéhovique, jusqu'à la Pentecôte, ne pouvait être conçue par le peuple de Dieu ni vécue par la masse des adorateurs en dehors des pratiques du culte ; tant que l'Esprit a été extérieur à l'homme, l'adoration ne pouvait, sauf en quelques individualités privilégiées, s'exprimer qu'avec le secours des pratiques extérieures--et c'est là ce qui fait encore aujourd'hui, en plein christianisme, la force du catholicisme. Ce qu'il y a d'admirable, ce qui fait que, tout bien considéré, on ne peut regarder Ézéchiel comme un prophète en qui la prophétie a rétrogradé ou s'est égarée, c'est que, malgré sa formation sacerdotale, il a compris que la restauration d'Israël n'aurait de valeur, que temple et culte n'auraient à l'avenir d'efficace, que si Jéhovah remplissait la cité nouvelle de sa grâce et si, du sanctuaire renouvelé par l'Esprit, découlait une source fertilisante, purifiante, vivifiante, destinée à muer la patrie juive en paradis (Eze 47:1-12). Que cette source n'ait été pour Ézéchiel qu'un symbole, ou qu'il ait vu en elle la transfiguration du filet d'eau qui s'échappait effectivement des murs de l'ancien sanctuaire : fons perennis aquoe (Tacite), nous ne pouvons autrement que d'y voir une lointaine mais claire prédiction de la « source d'eau vive » (cf. Jn 4:14 7:37, cf. Esa 58:11, Za 14:8).

ÉSAÏE II L'homme à qui il devait être donné de couronner l'oeuvre des grands prophètes et de faire monter la marée de l'Esprit jusqu'au niveau de l'Évangile, vivait au temps de l'exil. Mais rien, dans ses écrits, ne parle des événements de Babylonie ni ne fait allusion aux circonstances des dispersés qui vivaient dans l'entourage d'Ézéchiel. C'est un vrai contresens que de placer dans les plaines de la lointaine Caldée le prophète qui écrit : « Qu'ils sont beaux sur les montagnes, les pieds de celui qui apporte de bonnes nouvelles ! » (Esa 52:7 cf. Na 2:1), qui se sert couramment du verbe « ramener » (Esa 49:22 43:5 et suivant, etc). pour désigner le retour des Juifs dans leur patrie « à travers le désert » (Esa 40:3 43:9), fait des allusions constantes à la mer et aux îles (Esa 41, Esa 42, Esa 49, Esa 51) et nomme l'Egypte, Couch (Cus) et les Sabéens contre lesquels il fulmine (Esa 43:3 45:14 et suivants). A ne considérer que ses écrits, dans lesquels nous voyons qu'il avait des horizons beaucoup plus étendus que ses prédécesseurs, et sa théologie, qui culmine dans l'Homme de douleur, il nous paraît qu'Ésaïe II dut faire partie tout enfant de la fuite en Egypte (Jer 43), avoir connu là le vieillard Jérémie et assisté à son martyre. Après quoi, il sera revenu sur les ruines de Sion pour soutenir le peuple désemparé par ses infortunes et par la misère où l'avait laissé l'élite des Juifs transplantée au pays euphratique :

Consolez, consolez mon peuple, Dit votre Dieu... (Esa 40:1)

Une preuve encore qu'Ézéchiel et Ésaïe II n'exerçaient pas sur le même terrain, c'est le contraste de leurs attitudes. Tandis qu'Ézéchiel, dans son milieu d'exil que l'éloignement rend inoffensif, va à visage découvert, prêche, se raconte et se mêle à la vie des déportés qui l'entourent, Ésaïe II ne paraît pas ; ses écrits ne livrent rien de ce qui le concerne. On dirait qu'il se tient volontairement en dehors des circonstances qui pourraient trahir sa présence. C'est qu'il se trouve au foyer des anciennes révoltes. La main du tyran caldéen pesait lourdement sur Juda. Les complots successifs l'avaient rendu ombrageux. Il ne s'agissait plus, en Palestine, de propagande ouverte, mais seulement d'appels et d'encouragements plus ou moins clandestins, rédigés sous forme de sourates (voir ce mot) que les fidèles se passaient l'un à l'autre et envoyaient avec précaution dans les colonies de Juifs déportés. Ces sourates d'Ésaïe II ont été réunies après coup ; l'ordre en a souffert et, de-ci, de-là, des adjonctions post-exiliques ont pu y introduire quelque flottement dans le détail. Mais la pensée générale qui inspirait le ministère d'Ésaïe II ne s'en dégage pas moins de l'ensemble avec une netteté souveraine.

La connaissance qu'il a de la politique contemporaine révèle en Ésaïe II l'homme instruit, informé et génialement doué pour la philosophie de l'histoire. Jéhoviste fervent, il constate que les dieux des grandes nations, de celles qui passent et repassent sur les petits peuples du moyen Orient comme la, meule écrase les gerbes sur l'aire, les divinités égyptiennes et hittites, surtout les dieux de Ninive et de Babylone, Ashour, Bel, Nébo, dieux de sang et d'orgie, ont échoué dans leur oeuvre de force ; et voici maintenant que le plus grand de tous, la divinité des vieux Akkadiens qui, depuis 2.000 ans, réussissait toujours à ramener sa souveraineté sur les peuples conquis et les divinités rivales, Mardouk, est menacé. Il tombe, renversé par qui ? par un prince achéménide Cyrus, qui ne croit qu'à un Dieu unique et vivant, adoré sans image, un dieu qui interdit le meurtre, le vol, le mensonge. Ne nous laissons pas tromper par le cylindre de Cyrus, aux expressions hyperboliques, quand il nous présente Mardouk comme introduisant lui-même le conquérant perse à Babylone. Le but de cette inscription est de nous apprendre que Cyrus, à l'encontre des vainqueurs sémites, massacreurs de peuples et briseurs de dieux, entendait se présenter en bienfaiteur, en libérateur, respectueux des biens, des moeurs et des croyances des peuples qu'il annexait à son empire. Qu'est-ce à dire, sinon que l'on retrouve en lui les qualités d'un adorateur du Dieu juste et bon, soucieux de mettre partout la vie : le « dieu des cieux » ou dieu suprême des Achéménides (Esd 1:2 7:12), Ahura-Mazda, prêché par le prophète aryen Zoroastre. « ... Alors vint le second Ésaïe, qui marque l'apogée de la religion d'Israël ; il appartient à cette époque merveilleuse qu'ont rendue célèbre Zoroastre, Mahavira, le fondateur du djaïnisme, Bouddha, Lao-Tse, Confucius et les cultes orphiques » (S.A. Cook ; cf. Moore, Hist, of Relig., I, p. IX). Si, ainsi qu'il ressort des perspectives de son livre, le second Ésaïe n'a pas été confiné comme les prophètes du VIII e siècle dans les montagnes de la Palestine (Duhm pense même qu'il habitait les côtes de la Phénicie), rien ne s'oppose à ce qu'il ait connu au moins les plus proches éléments des grands courants religieux que l'Orient vit naître à son époque, et dont la propagande s'étendait jusqu'aux îles de la Méditerranée (par ex. le renouvellement de toutes choses, (Esa 65:17) et suivants, rappelle de façon frappante la frashôkéréti mazdéenne). On comprend dès lors qu'il ait salué de loin les premiers triomphes de l'Achéménide et proclamé en Cyrus l'exécuteur des volontés, le « pasteur », le « messie » de Jéhovah. Ce n'est plus ici l' imperator farouche qui sert à son insu la colère de Jéhovah irrité contre son peuple, c'est le prince bienfaiteur qui apporte la délivrance aux fidèles jéhovistes et qui a conscience, en brisant les chaînes d'Israël, d'exécuter la volonté divine (Esa 45:1,6 41:25).

Apportée aux populations juives qui végétaient abandonnées parmi les ruines de Sion, cette nouvelle était propre à ranimer leur espérance, mais aussi à l'alarmer : Cyrus aurait-il supplanté David ? Les tribus de Jacob ne seraient-elles plus le peuple élu ? Jéhovah aurait-il oublié le destin d'Israël et le droit qu'il tenait du contrat d'Abraham ?

Par son prophète, Jéhovah, d'abord, les rassure :

Pourquoi dis-tu, Jacob,

Pourquoi dis-tu, Israël :

Mon destin est caché devant Jéhovah,

Mon droit passe inaperçu devant Dieu ?

Israël mon serviteur,

Jacob, que j'ai choisi,

A qui j'ai dit : « Tu es mon serviteur ;

Je t'ai choisi et ne te rejette point, »

Ne crains rien, car je suis avec toi (Esa 40:27 41:25).

S'il a appelé Cyrus, s'il l'a provoqué à l'action, c'est pour démontrer à tous le néant des idoles et pour consommer la ruine des faux dieux auxquels Israël a tant sacrifié.

Je l'ai suscité du septentrion,

Et il est venu.

De l'orient, il invoque mon nom,

Il foule les puissants comme de la boue,

Comme l'argile que foule un potier (Esa 41:25).

Ils sont tous honteux et confus,

Ils s'en vont tous avec ignominie,

Les fabricants d'idoles...

Leurs oeuvres ne sont que néant,

Leurs idoles ne sont qu'un vain souffle (Esa 45:16 41:29).

Bel s'écroule, Nébo tombe ; Leurs idoles que vous portiez en procession Sont chargées sur des bêtes de somme, Deviennent un fardeau pour l'animal fatigué. Ils tombent, ils s'écroulent ensemble,

[Bel, Nébo] n'ont pu sauver le fardeau,

[Les idoles qui les représentent, ] Et ils s'en vont eux-mêmes en captivité (Esa 46 : 1).

Dans son enthousiasme, Ésaïe II compare les victoires de Jéhovah sur les divinités qui avaient usurpé sa gloire à la victoire qu'il remporta jadis sur les monstres du chaos (Esa 51:9 et suivant ; voir Cosmogonie) :

Réveille-toi, réveille-toi,

Revêts-toi de force, bras de Jéhovah !

Réveille-toi, comme aux jours d'autrefois,

Dans les anciens âges !

N'est-ce pas toi qui taillas en pièces Rahab,

Qui perças le monstre marin ?

N'est-ce pas toi qui desséchas la mer,

Les eaux de la grande Tehom ?

Comme il avait, ensuite de son triomphe sur les puissances de désordre, organisé par l'Esprit qui planait sur l'abîme l'harmonie lumineuse de la création matérielle, Dieu va maintenant, par Israël, grâce à l'anéantissement des fausses divinités, entreprendre au sein de l'humanité la création spirituelle :

Je suis Jéhovah, ton Dieu,

Qui soulève la mer et fais mugir les flots...

Je mets mes paroles dans ta bouche,

Je te couvre de l'ombre de ma main,

Pour étendre de nouveaux cieux

Et fonder une nouvelle terre,

Et pour dire à Sion : « Tu es mon peuple ! » (Esa 51:15).

Mais revenons au « serviteur » de Jéhovah (Esa 41:8). Dans la première sourate qui y fait allusion, apparaît l'idée, déjà émise par Ésaïe I, que le secours de Jéhovah ne pourra atteindre qu'une partie du peuple élu :

Ne crains rien, vermisseau de Jacob,

Faible reste d'Israël !

Je viens à ton secours, dit Jéhovah,

Le Saint d'Israël est ton Sauveur (Esa 41:14),.

Pourquoi ? A cause de l'aveuglement de la masse, qui a trahi l'alliance :

Sourds, écoutez ! Aveugles, regardez et voyez !

Qui est aveugle, sinon mon serviteur,

Et sourd, comme mon messager que j'envoie ?

Qui est aveugle comme l'ami de Dieu,

Aveugle comme le serviteur de Jéhovah ?

Tu as vu beaucoup de choses,

Mais tu n'y as point pris garde...

Jéhovah a voulu pour le bonheur d'Israël

Publier une loi grande et magnifique.

Ils n'ont point écouté sa loi ;

Aussi a-t-il versé sur Israël

L'ardeur de sa colère (Esa 42:18-21,24,25).

Quant à la partie restée fidèle à l'élection, les anavîm, les ébionîm, les tsaddiqîm, disciples des prophètes, elle n'a rien à craindre de ses ennemis malgré sa faiblesse :

Ne crains rien, car je te rachète,

Je t'appelle par ton nom : tu es à moi.

Si tu traverses les eaux, je serai avec toi,

Et les fleuves ne te submergeront pas ;

Si tu marches dans le feu...,

La flamme ne t'embrasera pas.

Car je suis Jéhovah, ton Dieu,

Le Saint d'Israël, ton Sauveur (Esa 43:1,3).

Je répandrai des eaux sur le sol altéré,

Des ruisseaux sur la terre desséchée,

Je répandrai mon Esprit sur ta race (Esa 44:3).

Sa première tâche--tâche splendide et périlleuse--

sera d'agir comme un levain dans la pâte ; il devra évangéliser la masse-- « maison de rebelles » (Eze 17:12) --, il devra prêcher de la part de Jéhovah :

Souviens-toi de ces choses, ô Jacob :

Je t'ai formé, tu es mon serviteur...

Reviens à moi, car je t'ai racheté ! (Esa 44:21 et suivant)

Je confirme la parole de mon serviteur,

J'accomplis ce que prédisent mes envoyés (Esa 44:26).

Ce serviteur, envoyé à la masse avec la force de l'Esprit pour réduire à néant les faux miracles des prophètes de mensonge (Esa 44:25) et pour prêcher la conversion avec la force de l'Esprit (Esa 48:13,16) sera appelé à souffrir de la part de ses compatriotes.

Jéhovah m'a parlé dès ma naissance,

Il m'a nommé dès la sortie

Des entrailles maternelles.

Il a rendu ma bouche

Semblable à un glaive tranchant...

Il m'a dit : « Tu es mon serviteur,

Israël en qui je me glorifierai. »

Et moi, j'ai dit :

« C'est en vain que j'ai travaillé,

C'est pour le vide et le néant

Que j'ai consumé ma force. »

Mais mon droit est auprès de Jéhovah (Esa 49:1,4).

Ne dirait-on pas qu'en écrivant ces lignes, Ésaïe II pense à Jérémie, évoque ses désillusions et ses débats avec son Dieu ? (cf. Jer 1:4,6 20:7,13) Et pourtant, c'est bien encore le noyau des fidèles jéhovistes groupés autour des prophètes que Fauteur envisage ici, et c'est à lui qu'il assigne maintenant une tâche magnifique : non seulement il est appelé à évangéliser son peuple, mais, par son rôle de médiateur dans la souffrance, il sera élevé à la dignité de missionnaire au sein de tous les peuples :

Maintenant, Jéhovah parle,

Lui qui m'a forme dès ma naissance

Pour être son serviteur,

Pour ramener à lui Jacob...

Car je suis honoré aux yeux de Jéhovah

Et mon Dieu est ma force.

Il dit : « C'est peu que tu sois mon serviteur

Pour relever les tribus de Jacob...

Je t'établis pour être la lumière des nations,

Pour porter mon salut jusqu'aux extrémités de la terre. »

Ainsi parle Jéhovah...

A celui qu'on méprise

Et qui est en horreur au peuple (Esa 49:5,7).

Ces dernières lignes, qui rappellent le sort de Jérémie, introduisent les discours missionnaires de Jésus : « Allez et évangélisez toutes les nations... Vous serez mes témoins jusqu'aux extrémités de la terre. » Elles fixent à jamais le rôle glorieux d'Israël dans l'histoire de l'humanité ; elles marquent le couronnement de son élection. Mais la tâche de « porter le salut » pourra-t-elle vraiment être accomplie par une collectivité ? Ne renferme-t-elle pas un élément expiatoire qui demeurera un mystère incompréhensible aux hommes, même les meilleurs, jusqu'à ce qu'une personnalité divino-humaine ait pris sur elle de l'incarner dans le monde, de souffrir et de mourir pour le salut de tous ? Ésaïe II a compris cette nécessité. Il en a entrevu la révélation ; mais sa révélation de 1' « Homme de douleur » appartient à la prophétie messianique, qui sera étudiée plus loin dans son ensemble.

Arrivons donc immédiatement aux conséquences de cet acte rédempteur dont le héros incarnera les privilèges, les vertus et la mission de sa race. Israël par lui aura appelé tous les peuples au salut :

Vous tous qui avez soif,

Venez, voici de l'eau.

Venez, achetez et mangez...

Sans argent, sans rien payer.

Écoutez, et votre âme vivra (Esa 55:1,3).

L'alliance avec David sera étendue à tous les hommes de bonne volonté :

Je traiterai avec vous une alliance éternelle

Pour rendre durables mes faveurs envers David.

Voici, je t'ai établi

Comme témoin auprès des peuples...

Tu appelleras des nations que tu ne connais pas,

Et les nations qui ne te connaissent pas

Accourront vers toi,

A cause de l'Éternel, ton Dieu...

Qui ne se lasse pas de pardonner... (Esa 55:3,5,7)

Les étrangers qui s'attacheront à Jéhovah...

Pour aimer le nom de l'Éternel,

Pour être ses serviteurs...,

Je les amènerai sur ma montagne sainte,

Je les réjouirai dans ma maison de prière... (Esa 56:6)

Jérusalem demeure bien le centre de l'humanité renouvelée, mais combien moral et spirituel sera le culte qu'on y célébrera ! Voici un passage qui suffirait à lui seul pour prouver que l'ensemble des sourates Esa 60 à 66, à part les adjonctions dont nous avons parlé (les critiques qui attribuent Esa 56 à 66 à l'époque d'Esdras considèrent souvent que ces chapitres appartiennent à des auteurs différents, disciples d'Ésaïe II), ne saurait appartenir à l'époque des scribes et porte le plus authentique cachet des temps prophétiques :

Que nous sert de jeûner,

Si tu ne le vois pas ?

De mortifier notre âme,

Si tu n'y as point égard ?

-Vous ne jeûnez pas comme le veut ce jour...

Courber la tête comme un jonc,

Se coucher sur le sac et la cendre,

Est-ce là ce que tu appelleras un jeûne,

Un jour agréable à Jéhovah ?

Détache les chaînes de la méchanceté,

Dénoue les liens de la servitude,

Renvoie libres les opprimés,

Partage ton pain avec celui qui a faim,

Fais entrer chez toi le malheureux sans asile,

Si tu vois un homme nu, couvre-le,

Et ne te détourne pas de ton semblable.

Alors ta lumière poindra comme l'aurore...

Tu appelleras, et Jéhovah répondra,

Tu crieras, et il dira : « Me voici ! » (Esa 58:3,8).

Le règne de Jéhovah glorifié par un culte spirituel rayonnera de la cité de lumière que le prophète aperçoit maintenant bien au-dessus de la Jérusalem qu'il chantait d'abord comme le sanctuaire d'Israël reconstitué. L'horizon deutéronomique, avec ses perspectives nationales, est dépassé. La ville apocalyptique d'Ézéchiel : Jéhovah-Chammah, voit aussi ses cadres éclater et doit reporter ses limites jusqu'aux extrémités du monde afin de pouvoir englober dans la gloire de Jéhovah des représentants de l'humanité tout entière. Les portes de cette cité, qui s'appellera « ville de Jéhovah », seront toujours ouvertes afin que de toutes parts et en tout temps les peuples réconciliés puissent venir y célébrer tout ensemble l'accomplissement des promesses faites à Jacob et le salut de toutes les nations.

Lève-toi, sois illuminée,

La gloire de Jéhovah se lève sur toi...

Je glorifierai la maison de ma gloire.

Qui sont ceux-là, qui volent comme des nuées,

Comme des colombes vers leur colombier ?

Car les îles espèrent en moi...

Tes portes seront toujours ouvertes,

Elles ne seront fermées ni jour, ni nuit,

Afin de laisser entrer chez toi

Les trésors des nations,

Les rois avec leur suite...

Les fils de tes oppresseurs

Viendront s'humilier devant toi ;

Ils t'appelleront « ville de Jéhovah »,

« Sion du Saint d'Israël » -..

Tu donneras à tes murs le nom de « Salut »,

A tes portes celui de « gloire ».

Ce ne sera plus le soleil

Qui t'éclairera pendant le jour ;

De sa lueur, la lune ne t'éclairera plus,

Car Jéhovah sera ta lumière à jamais,

Ton Dieu sera ta gloire. (Esa 60, cf. Ap 21).

Une dernière fois, l'horizon s'élargit à l'infini. Le triomphe de Jéhovah « dont le ciel est le trône et la terre le marchepied » (Esa 66:1) exige plus que la régénération des âmes : il lui faut la transfiguration de la nature tout entière, afin que l'hymne universel glorifie le Créateur (Esa 65:17,25). Ici le prophète rejoint les espérances du premier Ésaïe (Esa 11) et la doctrine mazdéenne sur le renouvellement du monde :

Voici, je vais créer de nouveaux cieux

Et une nouvelle terre.

On ne se rappellera plus les choses passées...

Soyez à toujours dans l'allégresse

A cause de ce que je vais créer...

Mes élus jouiront de l'oeuvre de leurs mains...

Ils n'auront pas des enfants

Pour les voir périr...

Avant qu'ils m'invoquent, j'exaucerai...

Le loup et l'agneau paîtront ensemble,

Le lion comme le boeuf mangera de la paille,

Le serpent aura la poussière pour nourriture.

Il ne se fera ni tort ni dommage

Sur toute ma montagne sainte,

Dit Jéhovah. (Esa 65:17,22,25, cf. Eze 47).

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    • Genèse 2

      1 C’est ainsi que furent terminés le ciel et la terre et toute leur armée.
      2 Le septième jour, Dieu mit un terme à son travail de création. *Il se reposa de toute son activité le septième jour.
      3 Dieu bénit le septième jour et en fit un jour saint, parce que ce jour-là il se reposa de toute son activité, de tout ce qu'il avait créé.
      4 Telle fut l'histoire du ciel et de la terre quand ils furent créés.
      5 Lorsque l'Eternel Dieu fit la terre et le ciel, il n'y avait encore aucun arbuste des champs sur la terre et aucune herbe des champs ne poussait encore, car l'Eternel Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n'y avait pas d'homme pour cultiver le sol.
      6 Cependant, une vapeur montait de la terre et arrosait toute la surface du sol.
      7 L'Eternel Dieu façonna l'homme avec la poussière de la terre. Il insuffla un souffle de vie dans ses narines et *l'homme devint un être vivant.
      8 L'Eternel Dieu planta un jardin en Eden, du côté de l'est, et il y mit l'homme qu'il avait façonné.
      9 L'Eternel Dieu fit pousser du sol des arbres de toute sorte, agréables à voir et porteurs de fruits bons à manger. Il fit pousser l'arbre de la vie au milieu du jardin, ainsi que l'arbre de la connaissance du bien et du mal.
      10 Un fleuve sortait d'Eden pour arroser le jardin, et de là il se divisait en quatre bras.
      11 Le nom du premier est Pishon : il entoure tout le pays de Havila où se trouve l'or.
      12 L'or de ce pays est pur. On y trouve aussi le bdellium et la pierre d'onyx.
      13 Le nom du deuxième fleuve est Guihon : il entoure tout le pays de Cush.
      14 Le nom du troisième est le Tigre : il coule à l'est de l'Assyrie. Le quatrième fleuve, c'est l'Euphrate.
      15 L'Eternel Dieu prit l'homme et le plaça dans le jardin d'Eden pour qu’il le cultive et le garde.
      16 L'Eternel Dieu donna cet ordre à l'homme : « Tu pourras manger les fruits de tous les arbres du jardin,
      17 mais tu ne mangeras pas le fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras, c’est certain. »
      18 L'Eternel Dieu dit : « Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Je lui ferai une aide qui soit son vis-à-vis. »
      19 L'Eternel Dieu façonna à partir de la terre tous les animaux sauvages et tous les oiseaux du ciel, puis il les fit venir vers l'homme pour voir comment il les appellerait. Il voulait que tout être vivant porte le nom que l'homme lui donnerait.
      20 L'homme donna des noms à tout le bétail, aux oiseaux du ciel et à tous les animaux sauvages, mais pour lui-même il ne trouva pas d'aide qui soit son vis-à-vis.
      21 Alors l'Eternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur l'homme, qui s'endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place.
      22 L'Eternel Dieu forma une femme à partir de la côte qu'il avait prise à l'homme et il l'amena vers l'homme.
      23 L'homme dit : « Voici cette fois celle qui est faite des mêmes os et de la même chair que moi. On l'appellera femme parce qu'elle a été tirée de l'homme. »
      24 *C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, et ils ne feront qu’un.
      25 L'homme et sa femme étaient tous les deux nus, et ils n'en avaient pas honte.

      Genèse 3

      13 L'Eternel Dieu dit à la femme : « Pourquoi as-tu fait cela ? » La femme répondit : « Le serpent m'a trompée et j'en ai mangé. »

      Genèse 8

      20 Noé construisit un autel en l’honneur de l'Eternel. Il prit de toutes les bêtes pures et de tous les oiseaux purs et offrit des holocaustes sur l'autel.

      Genèse 12

      1 L'Eternel dit à Abram : « *Quitte ton pays, ta patrie et ta famille et va dans le pays que je te montrerai.
      2 Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai ton nom grand et tu seras une source de bénédiction.
      3 Je bénirai ceux qui te béniront et je maudirai ceux qui te maudiront, et *toutes les familles de la terre seront bénies en toi. »
      4 Abram partit conformément à la parole de l'Eternel, et Lot partit avec lui. Abram était âgé de 75 ans lorsqu'il quitta Charan.
      5 Il prit sa femme Saraï et Lot, le fils de son frère. Il prit aussi tous les biens et les serviteurs dont ils étaient devenus propriétaires à Charan, et ils partirent pour se rendre dans le pays de Canaan, où ils arrivèrent.
      6 Abram traversa le pays jusqu'à l'endroit appelé Sichem, jusqu'aux chênes de Moré. Les Cananéens occupaient alors le pays.
      7 L'Eternel apparut à Abram et dit : « C’est à ta descendance que je donnerai ce pays. » Abram construisit là un autel en l’honneur de l'Eternel qui lui était apparu.
      8 Il partit de là vers la région montagneuse qui se trouve à l'est de Béthel et il dressa ses tentes. Béthel était à l'ouest et Aï à l'est. Là, il construisit un autel en l’honneur de l'Eternel et fit appel au nom de l'Eternel.
      9 Puis Abram continua par étapes en direction du Néguev.
      10 Il y eut une famine dans le pays et Abram descendit en Egypte pour y séjourner, car la famine pesait lourdement sur le pays.
      11 Comme il était sur le point d’entrer en Egypte, il dit à sa femme Saraï : « Ecoute-moi ! Je sais que tu es une belle femme.
      12 Quand les Egyptiens te verront, ils diront : ‘C'est sa femme’et ils me tueront, tandis que toi, ils te laisseront en vie.
      13 Présente-toi donc comme ma sœur afin que je sois bien traité à cause de toi et que je reste en vie grâce à toi. »
      14 Lorsque Abram fut arrivé en Egypte, les Egyptiens virent que la femme était très belle.
      15 Les intendants du pharaon la virent et la vantèrent au pharaon, si bien que la femme fut emmenée chez le pharaon.
      16 Il traita bien Abram à cause d'elle et Abram reçut des brebis, des bœufs, des ânes, des serviteurs et des servantes, des ânesses et des chameaux.
      17 Cependant, l'Eternel frappa le pharaon et sa famille de grands fléaux à cause de Saraï, la femme d'Abram.
      18 Alors le pharaon appela Abram et dit : « Qu'est-ce que tu m'as fait ? Pourquoi ne m'as-tu pas informé que c'est ta femme ?
      19 Pourquoi as-tu prétendu que c’était ta sœur ? De ce fait, je l'ai prise pour femme ! Voici maintenant ta femme. Prends-la et va-t’en ! »
      20 Et le pharaon donna l'ordre à ses gens de le renvoyer, lui et sa femme, avec tout ce qui lui appartenait.

      Genèse 15

      18 Ce jour-là, l'Eternel fit alliance avec Abram en disant : « C’est à ta descendance que je donne ce pays, celui qui va du fleuve d'Egypte jusqu'au grand fleuve, jusqu’à l’Euphrate,

      Genèse 18

      25 Faire mourir le juste avec le méchant, si bien que le sort du juste serait identique à celui du méchant, cela ne correspond certainement pas à ta manière d’agir ! Celui qui juge toute la terre n'appliquera-t-il pas le droit ? »

      Genèse 20

      1 Abraham partit de là pour la région du Néguev. Il s’installa entre Kadès et Shur et fit un séjour à Guérar.
      18 En effet, l'Eternel avait frappé de stérilité tout le foyer d'Abimélec à cause de Sara, la femme d'Abraham.

      Genèse 22

      1 Après cela, Dieu mit Abraham à l'épreuve. Il lui dit : « Abraham ! » Celui-ci répondit : « Me voici ! »
      2 Dieu dit : « Prends ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac. Va-t'en au pays de Morija et là offre-le en holocauste sur l'une des montagnes que je t’indiquerai. »
      3 Abraham se leva de bon matin, sella son âne et prit avec lui deux serviteurs et son fils Isaac. Il fendit du bois pour l'holocauste et partit pour aller à l'endroit que Dieu lui avait indiqué.
      4 Le troisième jour, Abraham leva les yeux et vit l'endroit de loin.
      5 Il dit à ses serviteurs : « Restez ici avec l'âne. Le jeune homme et moi, nous irons jusque là-bas pour adorer, puis nous reviendrons vers vous. »
      6 Abraham prit le bois pour l'holocauste, le chargea sur son fils Isaac et porta lui-même le feu et le couteau. Ils marchèrent tous les deux ensemble.
      7 Alors Isaac s'adressa à son père Abraham en disant : « Mon père ! » Il répondit : « Me voici, mon fils ! » Isaac reprit : « Voici le feu et le bois, mais où se trouve l'agneau pour l'holocauste ? »
      8 Abraham répondit : « Mon fils, Dieu pourvoira lui-même à l'agneau pour l'holocauste. » Et ils continuèrent à marcher tous les deux ensemble.
      9 Lorsqu'ils furent arrivés à l'endroit que Dieu lui avait indiqué, Abraham y construisit un autel et rangea le bois. Il attacha son fils Isaac et le mit sur l'autel par-dessus le bois.
      10 Puis Abraham tendit la main et prit le couteau pour égorger son fils.
      11 Alors l'ange de l'Eternel l'appela depuis le ciel et dit : « Abraham ! Abraham ! » Il répondit : « Me voici ! »
      12 L'ange dit : « Ne porte pas la main sur l'enfant et ne lui fais rien, car je sais maintenant que tu crains Dieu et que tu ne m'as pas refusé ton fils unique. »
      13 Abraham leva les yeux et vit derrière lui un bélier retenu par les cornes dans un buisson. Il alla prendre le bélier et l'offrit en holocauste à la place de son fils.
      14 Abraham donna à cet endroit le nom de Yahvé-Jiré. C'est pourquoi l'on dit aujourd'hui : « A la montagne de l'Eternel il sera pourvu. »
      15 L'ange de l'Eternel appela une deuxième fois Abraham depuis le ciel.
      16 Il dit : « *Je le jure par moi-même – déclaration de l'Eternel –, parce que tu as fait cela et que tu n'as pas refusé ton fils unique,
      17 je te bénirai et je multiplierai ta descendance : elle sera *aussi nombreuse que les étoiles du ciel, pareille au sable qui est au bord de la mer. De plus, ta descendance possédera les villes de ses ennemis.
      18 *Toutes les nations de la terre seront bénies en ta descendance, parce que tu m’as obéi. »
      19 Abraham retourna vers ses serviteurs. Ils se levèrent et repartirent ensemble à Beer-Shéba. En effet, Abraham habitait à Beer-Shéba.
      20 Après cela, on annonça à Abraham : « Milca a aussi donné des fils à ton frère Nachor :
      21 Uts, son aîné, Buz, son frère, Kemuel, le père d'Aram,
      22 Késed, Hazo, Pildash, Jidlaph et Bethuel.
      23 Bethuel a eu pour fille Rebecca. Voilà les huit fils que Milca a donnés à Nachor, le frère d'Abraham.
      24 Sa concubine, appelée Réuma, a aussi mis au monde Thébach, Gaham, Tahash et Maaca. »

      Genèse 35

      4 Ils donnèrent à Jacob tous les dieux étrangers qui étaient en leur possession et les anneaux qui étaient à leurs oreilles. Jacob les enfouit sous le térébinthe qui se trouve près de Sichem.

      Exode 3

      1 Moïse était devenu berger du troupeau de son beau-père Jéthro, le prêtre de Madian. Il conduisit le troupeau derrière le désert et vint à la montagne de Dieu, à Horeb.
      6 Il ajouta : * « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. » Moïse se cacha le visage, car il avait peur de regarder Dieu.
      14 Dieu dit à Moïse : « Je suis celui qui suis. » Et il ajouta : « Voici ce que tu diras aux Israélites : ‘Je suis m'a envoyé vers vous.’ »
      21 Je gagnerai même la faveur des Egyptiens à ce peuple et, quand vous partirez, vous ne partirez pas les mains vides.
      22 Chaque femme demandera à sa voisine et à celle qui séjourne chez elle des vases d'argent, des vases d'or et des vêtements. Vous les ferez porter par vos fils et vos filles et vous dépouillerez les Egyptiens. »

      Exode 4

      24 Pendant le voyage, à l'endroit où ils passaient la nuit, l'Eternel l'attaqua et chercha à le faire mourir.
      26 Alors l'Eternel le laissa. C'est à ce moment-là qu'elle dit : « Mari de sang ! » à cause de la circoncision.

      Exode 7

      1 L'Eternel dit à Moïse : « Regarde, je te fais Dieu pour le pharaon, et ton frère Aaron sera ton prophète.
      2 Toi, tu diras tout ce que je t'ordonnerai et ton frère Aaron parlera au pharaon pour qu'il laisse les Israélites partir de son pays.
      3 De mon côté, j'endurcirai le cœur du pharaon et je multiplierai mes signes et mes miracles en Egypte.
      4 Le pharaon ne vous écoutera pas. Je porterai la main contre l'Egypte et c’est par de grands actes de jugement que je ferai sortir d'Egypte mes armées, mon peuple, les Israélites.
      5 Les Egyptiens reconnaîtront que je suis l'Eternel lorsque je déploierai ma puissance contre l'Egypte et ferai sortir les Israélites du milieu d'eux. »
      6 Moïse et Aaron se conformèrent à ce que l'Eternel leur avait ordonné, c’est ce qu’ils firent.
      7 Moïse était âgé de 80 ans et Aaron de 83 ans lorsqu'ils parlèrent au pharaon.
      8 L'Eternel dit à Moïse et à Aaron :
      9 « Si le pharaon vous dit : ‘Faites un miracle !’tu ordonneras à Aaron : ‘Prends ton bâton et jette-le devant le pharaon.’Le bâton se changera alors en serpent. »
      10 Moïse et Aaron allèrent trouver le pharaon et se conformèrent à ce que l'Eternel avait ordonné : Aaron jeta son bâton devant le pharaon et devant ses serviteurs, et il se changea en serpent.
      11 Cependant, le pharaon appela des sages et des sorciers, et les magiciens d'Egypte, eux aussi, en firent autant par leurs sortilèges.
      12 Ils jetèrent tous leurs bâtons et ceux-ci se changèrent en serpents. Mais le bâton d'Aaron engloutit les leurs.
      13 Le cœur du pharaon s'endurcit et il n'écouta pas Moïse et Aaron. Cela se passa comme l'Eternel l'avait dit.
      14 L'Eternel dit à Moïse : « Le pharaon a le cœur insensible, il refuse de laisser partir le peuple.
      15 Va trouver le pharaon dès le matin ; il sortira pour aller près de l'eau et tu te présenteras devant lui au bord du fleuve. Tu prendras à la main le bâton qui a été changé en serpent
      16 et tu diras au pharaon : ‘L'Eternel, le Dieu des Hébreux, m'a envoyé vers toi pour te dire : Laisse partir mon peuple afin qu'il me serve dans le désert, et jusqu'à présent tu n'as pas écouté.
      17 Voici ce que dit l'Eternel : Cette fois, tu reconnaîtras que je suis l'Eternel. Je vais frapper l’eau du Nil avec le bâton qui est dans ma main et elle sera changée en sang.
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