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Genèse 14

    • 1

      1-12 Occasion de l'intervention d'Abraham

      La vérité historique complète des faits enfermés dans ce récit ne peut plus être mise en doute depuis la confirmation éclatante qu'ils ont reçue par les découvertes faites récemment en Assyrie. Nous pouvons ainsi constater nous-mêmes la parfaite exactitude des renseignements que possédait l'écrivain sacré.

      Plusieurs des noms mentionnés se lisent dans les inscriptions. Ainsi Arjoc s'y trouve sous la forme d'Iri-Akou, (qui signifie serviteur du dieu de la lune, sa ville capitale, Ellasar, est nommée dans les inscriptions Larsav, aujourd'hui Sinkéreh, dans la Basse-Chaldée, sur l'un des bras de l'Euphrate, au nord d'Ur. Les inscriptions nous apprennent, qu'il régnait là comme vassal de son père, Koudour-Maboug, roi d'Ur, de Sumir et d'Accad, c'est-à-dire de toute la Babylonie septentrionale et méridionale.

      Nous sommes aussi éclairés sur le nom de Kédorlaomer. Le mot Koudour (Kédor) entre dans la composition des noms de deux rois élamites de Babylone dont parlent les inscriptions, Koudour-Maboug et Koudour-Nachoundi ; et le nom de Laomer est celui de la déesse Lagamar. Les LXX rendent le nom de ce roi sous la forme de Chodollogomor, qui se rapproche encore plus des inscriptions.

      Certains détails de notre récit s'éclaircissent également par la comparaison des inscriptions. Comment se fait-il, par exemple, que Kédorlaomer, un roi d'Elam, marche à la tête de l'expédition et que le roi de Babylone n'y paraisse qu'en seconde ligne (verset 5) ? Comment un roi d'Elam, des pays iraniens, peut-il étendre ses conquêtes jusqu'à la vallée du Jourdain ?

      Ces problèmes trouvent leur solution dans une inscription du roi d'Assyrie Assurbanipal, qui nous révèle l'existence d'un vaste et puissant empire élamite antérieur à l'empire babylonien. Ce roi raconte en effet que, s'étant emparé de la ville de Suze, capitale de l'empire élamite, il y trouva et rapporta en Babylonie l'idole de la déesse Nana, que, 1635 ans auparavant, un roi d'Elam, du nom de Koudour-Nachoundi, avait enlevée. Car, ajoute-t-il, ce roi élamite avait fait main basse sur les temples d'Accad (Babylonie septentrionale).

      Assurbanipal régnait de 668 à 626 avant J.-C. La conquête de la Babylonie par les rois d'Elam ayant eu lieu 1635 ans auparavant, cela nous conduit aux années 2200-2300 avant J-C, c'est-à-dire à l'époque d'Abraham, dont la date nous a paru être un peu plus de 2000 ans avant J-C. Nous savons de plus que les rois d'Elam, après s'être emparés de Babylone, s'y établirent et en firent leur capitale, car Koudour-Maboug, l'un des successeurs de Koudour-Nachoundi, est désigné dans les inscriptions comme roi de Babylone.

      Une fois établie à Babylone, la dynastie élamite étendit ses conquêtes bien au-delà des plaines de l'Euphrate et du, Tigre. En effet, Koudour-Maboug est nommé dans les inscriptions maître du pays d'Occident, c'est-à-dire des contrées de l'Asie occidentale jusqu'à la Méditerranée, et avant tout du pays de Canaan. C'est justement au moment qui suivit cet asservissement de l'Occident par Koudour-Maboug, bien avant les expéditions assyriennes et babyloniennes, que nous place notre chapitre.

      Ces contrées avaient été soumises douze ans à Kédorlaomer, peut-être le successeur du conquérant ; et ce fut pour réprimer une révolte qui avait eu lieu la treizième année qu'il arriva jusqu'à la vallée du Jourdain et au désert de Paran. La série des faits peut donc se reconstruire de la manière suivante : Des deux souverains élamites que nous font connaître les inscriptions, le premier, Koudour-Nachoundi, a conquis la Babylonie ; le second, Koudour-Maboug, s'est avancé jusqu'au pays de Canaan ; Kédorlaomer, le troisième, celui que nous ne connaissons que par la Bible, est venu pour réprimer une révolte dans les pays conquis.

      1
      Amraphel. Ce nom ne s'explique pas d'après l'hébreu ; il est sans doute d'origine babylonienne, mais n'a pas été retrouvé dans les inscriptions.

      Sinéar, la Babylonie ; voir 10.10, note.

      Thidéal ne se retrouve pas dans les inscriptions et n'a pas de sens en hébreu. Les LXX lisent Targal (il suffit en hébreu de changer une lettre), mot qui, dans les langues touraniennes, signifie grand chef.

      Goïm, mot hébreu signifiant nations. La traduction grecque de Symmaque le rend par les Scythes. D'après cela, le grand chef des hordes scythes venues du Nord aurait aussi fait partie, comme vassal, de l'armée du roi d'Elam.

      Selon d'autres, Goïm serait le nom d'un peuple spécial, soit les Goïm établis dans les, montagnes d'Ephraïm (Josué 12.23), soit les Gouti, ou Kouti, population d'une contrée située sur les frontières de la Médie.

      De ce que nous avons rapporté plus haut et du verset 9, il résulte que ces quatre rois n'étaient pas égaux : Kédorlaomer était le chef de l'expédition, et les trois autres étaient des rois de pays conquis. L'ordre que suit, ici l'auteur peut s'expliquer par la raison qu'il a voulu placer en tête de toute cette histoire un nom déjà connu par les récits précédents, celui du pays de Sinéar ; il aura continué par l'ancien vassal du roi de ce pays, puis passé au roi d'Elam et à son vassal le plus puissant.

      2

      Sodome, Gomorrhe, Adma, Tséboïm, les quatre villes de la plaine qui furent englouties plus tard (chapitre 19). Elles sont également mentionnées ensemble Genèse 10.19 et Deutéronome 29.23. Partout ailleurs, Sodome et Gomorrhe, les deux principales, sont seules indiquées.

      Sur la situation probable de ces quatre villes, ainsi que de Tsoar, voir à 19.28. Il est probable que leurs habitants n'appartenaient pas aux tribus cananéennes ; car, d'après 10.19, ces villes étaient situées en dehors de leurs frontières.

      On n'a pas trouvé d'étymologies satisfaisantes de ces noms ; plusieurs auteurs ont prétendu que d'après l'arabe, Sodome signifie l'engloutie, Gomorrhe la submergée, Adma la détruite, Béla l'avalée ; mais on n'arrive à ces significations qu'en faisant violence à l'orthographe. Il en est de même des explications que les rabbins et certains commentateurs ont données des noms des quatre rois : fils du mauvais, fils du méchant, dent de serpent et venin de scorpion.

      L'état politique de cette contrée est le même que celui du pays de Canaan au temps de Josué : chaque ville a son roi, et en temps de guerre elles se prêtent mutuellement secours. La guerre contre ces cinq villes n'était pas le but unique de l'expédition ; mais elle est mentionnée en tête du récit, parce que c'est cette circonstance qui fournit à Abraham l'occasion d'intervenir.

      Béla, qui est Tsoar : qui est aujourd'hui Tsoar. L'auteur connaît encore l'ancien nom de Tsoar, qui n'est mentionné nulle part ailleurs dans la Bible.

      3
      Vallée de Siddim. C'était la partie méridionale de la plaine du Jourdain. Comparez 13.10
      5

      Le récit qui commence avec ce verset montre que tous les pays conquis de l'Occident s'étaient révoltés avec les rois de la Plaine.

      Les Réphaïm. Ce peuple, encore mentionné au temps d'Abraham (15.20), appartenait à la population primitive de Canaan. Ils habitaient à l'orient du Jourdain les contrées occupées plus tard par les Ammonites et les Moabites (Deutéronome 2.11 ; 2.20 ; 3.13). Mais ils ont aussi laissé des traces de leur passage dans la partie occidentale du pays : une vallée au sud-ouest de Jérusalem (Esaïe 17.5) et une partie du territoire échu à la tribu de Manassé (Josué 17.15) portaient leur nom. Les derniers restes de ce peuple apparaissent chez les Philistins au temps de David (2Samuel 21.15 et suivants). Partout les auteurs sacrés les mentionnent comme des hommes d'une taille extraordinaire ; leur nom même signifie géants.

      Astharoth-Karnaïm. Le sens de ce nom est : les Astartés à deux cornes. Astarté, la personnification de la lune, était ainsi désignée à cause des deux cornes du croissant lunaire. La ville appelée de ce nom devait être le siège d'un culte de cette déesse, la Vénus des Cananéens.

      C'est sans doute la même ville qu'Astharoth, la résidence d'Og, roi de Basan (Deutéronome 1.4 ; Josué 9.10). Les anciens commentateurs, suivis par plusieurs modernes, identifient cette localité avec l'endroit appelé aujourd'hui Tel-Aschtéra, situé dans l'ancienne province du Hauran, à la hauteur du lac de Génésareth. D'autres l'identifient avec la ville de Bostra, ancienne capitale du pays, située plus au Sud-Est.

      Les Zuzim, peut-être identiques avec les Zamzummim, tribu de Réphaïm mentionnée Deutéronome 2.20 ; c'étaient les habitants primitifs du pays des Ammonites, qui habitaient à l'orient du Jourdain inférieur. Ptolémée mentionne dans cette contrée une localité du nom de Ziza.

      Ham, nom inconnu.

      Les Emim, les terribles, autre tribu de Réphaïm, qui ont précédé les Moabites dans les contrées situées à l'est de la mer Morte (Deutéronome 2.20).

      Savé-Kiriathaïm. Savé signifie plaine. Sur la position de Kiriathaïm, voir Jérémie 48.1, note.

      6

      Les Horiens. Ce nom, qui signifie habitants des cavernes, désigne la population primitive du pays d'Edom, situé entre la mer Morte et l'extrémité orientale de la mer Rouge (Deutéronome 2.12,22).

      Leur montagne. Ces montagnes sont spécialement leurs, parce que les cavernes qu'elles renferment leur servaient d'habitations.

      Séir. Ce nom, qui signifie velu, vient probablement de ce que les montagnes du pays sont couvertes de forêts.

      El-Paran. El signifie grand arbre, et, se dit surtout des chênes et des palmiers, et Paran désigne le désert qui s'étend à l'ouest du pays d'Edom, entre la presqu'île du Sinaï et le pays de Juda. Ce El-Paran est probablement identique avec Elath, port qui a donné son nom au golfe élanitique, celui des deux golfes septentrionaux de la mer Rouge qui est le plus à l'Est (Deutéronome 2.8 ; 2Rois 14.22). On comprend que Kédorlaomer ait tenu à la possession de ce port, qui lui donnait accès sur la mer Rouge.

      Près du désert. Elath était à l'entrée du désert de Paran.

      7

      S'en retournant. Allant dans la direction d'où ils étaient venus, mais en longeant cette fois la frontière occidentale du pays d'Edom.

      Fontaine du Jugement : ancien nom de Kadès, venant de ce qu'il y avait là une source près de laquelle on consultait l'oracle. Le nom de Kadès (de kadasch, être saint) montre qu'il y avait réellement là un sanctuaire.

      Cette localité est célèbre dans l'histoire sainte par le séjour qu'y firent les Israélites avant d'entrer dans le pays de Canaan ; comme Elath, elle était sans doute pour les rois d'Orient un point important : elle était la clef de la route d'Orient en Egypte. D'après Nombres 13.26, Kadès ne devait pas être éloignée de la frontière méridionale de Juda.

      Tout le pays des Amalékites : sans doute ce peuple, descendant d'Esaü, n'existait pas encore, mais c'était le pays qui fut plus tard habité par eux (Genèse 36.42).

      Les Amorrhéens : voir à 10.16.

      Hatsatson-Thamar : rangée ou abattis de palmiers. D'après 2Chroniques 20.2, cette localité est la même que Enguédi, qu'on a retrouvée sur la côte occidentale de la mer Morte, à la hauteur d'Hébron, dans une contrée maintenant désolée, mais qui, au témoignage de Pline, était autrefois riche en palmiers. C'est par le même endroit que passa plus tard l'armée des Moabites et des Ammonites pour attaquer Josaphat. (2Chroniques 20.1-2)

      Nous pouvons maintenant nous rendre compte de l'itinéraire suivi par les quatre rois d'Orient. Astharoth dans le Hauran, à l'est du lac de Génésareth, Ham, à l'est de l'embouchure du Jourdain (?) ; Kiriathaïm, à l'est de la mer Morte ; Séir, entre la mer Morte et la mer Rouge ; Elath, sur la mer Rouge. De là, retour par le désert (Kadès, le pays d'Amalek) jusqu'à Enguédi, dans la vallée de Siddim, au pied des montagnes de Juda.

      8

      Les rois de la Plaine, voyant tous leurs voisins vaincus, réunissent leurs forces sous le commandement en chef du roi de Sodome pour arrêter l'armée conquérante.

      10

      Beaucoup de puits de bitume. Le bitume arrivait probablement à fleur de terre au fond de nombreuses dépressions du sol. Aujourd'hui encore, on trouve beaucoup d'asphalte sur les côtes de la mer Morte, et le fond même de cette mer semble être formé de cette matière. Les voyageurs racontent en effet que, dans la partie méridionale de ce bassin, et surtout après des tremblements de terre, l'asphalte monte du fond de la mer et flotte à la surface de l'eau. La côte méridionale est formée d'un terrain noir, peu consistant, où l'on enfonce facilement et où les bêtes de somme disparaissent parfois.

      Ils y tombèrent : non pas les deux rois (verset 17), mais leurs gens.

      11

      Ils s'en allèrent : ils remontent la vallée du Jourdain, afin d'éviter le désert de Syrie. Comparez verset 14.

      12

      Lot est enveloppé dans la ruine de ce beau et riche pays, dans lequel il s'était établi. Les explications données ici sur lui feraient supposer qu'il n'avait, pas encore été parlé de lui et de son établissement dans cette contrée, ce qui confirme l'hypothèse émise en commençant sur l'origine de ce récit.

      13

      13-16 Victoire d'Abraham

      Abram l'Hébreu : descendant d'Héber ; voir 10.25, note ; ce nom oppose Abraham aux habitants de la Plaine et aux rois d'Orient. C'est aussi ce nom que les païens emploieront plus tard pour désigner les Israélites (Genèse 39.14 ; 41.12 ; Exode 1.16 ; 1Samuel 4.6).

      Il campait dans la chênaie. Cette explication serait superflue si l'auteur de ce morceau était le même que celui du chapitre 13.

      Escol. Ce nom signifie : grappe de raisin. Ailleurs il désigne une vallée voisine d'Hébron (Nombres 13.23).

      Ils étaient des alliés : tous les trois, d'après le verset 4.

      14

      Son frère : son parent ; comparez 13.8 ; 24. 27

      Ses gens, littéralement : ses éprouvés, ses fidèles, ceux dont il était sûr.

      Nés dans sa maison : ils devaient lui être plus attachés que les esclaves acquis à prix d'argent.

      Trois cent dix-huit. Ce chiffre, qui ne comprend naturellement qu'une partie des gens d'Abraham, donne une idée de la puissance de ce patriarche.

      Jusqu'à Dan. C'est par cette ville, au pied du Hermon, au nord de la Palestine, que passèrent aussi plus tard les armées babyloniennes quand elles envahirent le pays (Jérémie 4.15 ; 8.16). Le nom de Dan, comme ceux de Béthel (12.8) et de Hébron (13.18), doit être employé ici par anticipation ; car cette ville porta le nom de Laïs jusqu'au moment où les Danites s'en emparèrent (Juges 18.27 et suivants). Faut-il conclure de là que ce récit a été composé seulement après cette époque ? Non ; car nous avons trouvé de nombreux indices de sa très grande ancienneté, même relativement aux autres récits de la Genèse. Il faut donc admettre que le nom de Dan a été substitué plus tard au nom primitif, en vue de la lecture publique ; à moins pourtant qu'on ne préfère appliquer ici ce nom de Dan à la ville de Dan-Jaan dans le pays de Galaad, au-delà du Jourdain (2Samuel 24.6). Les rois auraient dans ce cas passé le Jourdain entre le lac de Génésareth et. l'embouchure du fleuve.

      15

      Ayant partagé sa troupe. Cette tactique était très usitée chez les Israélites et dans tout l'Orient. Comparez Juges 7.16 ; 1Samuel 11.11 ; 2Samuel 18.2 ; Job 1.17, etc.

      Hoba, probablement à vingt heures de marche au nord de Damas, sur les confins du désert ; là se trouve encore aujourd'hui une source de ce nom.

      16

      Les femmes et les gens : non seulement il délivre Lot et reprend le butin enlevé, mais encore il délivre tous les prisonniers. On peut se demander comment une armée considérable et habituée à la victoire peut être vaincue par une si petite troupe. Mais d'abord Abraham avait trois alliés (verset 13). Puis les rois d'Orient, ayant vaincu tous leurs ennemis, étaient dans une complète sécurité et, leur défaite fut l'effet d'une surprise. Peut-être aussi Abraham n'eut-il affaire qu'à l'arrière-garde qui emmenait les prisonniers et le butin.

      17

      17-20 Rencontre avec Melchisédek

      Alla au-devant de lui : pour le remercier et le prier de lui rendre les prisonniers (verset 21).

      Vallée de Savé : vallée de la Plaine.

      C'est la vallée du Roi. Ce nom ne reparaît que dans 2Samuel 18.18, où nous lisons qu'Absalom se fit ériger un monument dans la vallée du Roi. On ne sait où est cette vallée. Josèphe rapporte sans doute que ce monument était à deux stades de Jérusalem ; d'après cela, la vallée du Roi pourrait être la vallée du Cédron. Mais le nom de vallée de la Plaine ne convient pas à cet étroit vallon, et le monument dont parle Josèphe était probablement faussement désigné comme celui d'Absalom. Les propriétés de ce prince étaient en Ephraïm (2Samuel 13.23). Aucun indice ne pouvant nous éclairer sur la situation de la vallée de Savé, ce sera peut-être la position de la ville de Salem qui la déterminera (verset 18).

      18

      Melchisédek : roi de justice. Ce personnage, à la fois roi et prêtre, selon l'ancienne coutume phénicienne, communiquait à son peuple les ordres de Dieu et offrait à Dieu les sacrifices et les prières du peuple. Les commentateurs juifs et les rabbins ont fait bien des suppositions sur ce personnage mystérieux que nous ne rencontrons qu'ici et dont nous ne connaissons ni l'origine ni l'histoire subséquente.

      Les uns ont vu en lui un ange du ciel ; d'autres, le patriarche Sem, qui, d'après la chronologie de la Genèse, doit avoir survécu de trente-cinq ans à Abraham lui-même. D'après notre récit, nous voyons simplement en Melchisédek l'un des derniers représentants de la croyance monothéiste primitive qu'il partage encore avec Abraham. En effet le Dieu Très-Haut qu'il adore est reconnu par Abraham comme un seul et même Dieu avec celui qu'Abraham adore sous le nom de Jéhova (verset 22). C'est comme un représentant vénérable de cet ancien ordre de choses qu'Abraham, l'initiateur de la nouvelle économie, lui paie la dîme. Le sacerdoce qu'il exerçait, il le tenait de sa piété personnelle ; et c'est sous ce l'apport que l'épître aux Hébreux le compare à Jésus, qui, lui aussi, n'était pas sacrificateur par droit d'hérédité, mais par la puissance de la vie indissoluble qui était en lui (Hébreux 7.16). De plus, dans Psaumes 110.1-4, il est présenté comme le type du Messie, en ce qu'il réunissait les deux charges de la royauté et de la sacrificature, qui restèrent strictement séparées par la loi durant tout le cours de l'ancienne alliance.

      Salem. Ce nom, qui dérive de schalôm, paix, signifie ville de paix. On a pensé qu'il désignait ici une ville de Salim, située sur la frontière nord de la Samarie, non loin de la vallée du Jourdain. Au temps de Jérôme (5 ième siècle après J-C), on prétendait encore montrer dans cette ville le palais de Melchisédek. Mais il est peu probable que le roi de Sodome soit allé, au-devant d'Abraham si loin au Nord, et si le Dan du verset 14 est celui des sources du Jourdain, Abraham ne peut être revenu par la vallée de ce fleuve, qui est presque impraticable en plusieurs endroits. Salem doit donc être cherchée sur le plateau, et vers le sud du pays, dans une contrée qui ne soit pas aussi éloignée de l'ancienne Sodome. Or nul endroit ne répond mieux à ces exigences que Jérusalem qui est appelée Salem dans Psaumes 76.3 et où, au temps de la conquête (Josué 10.1), régnait encore un roi dont le nom a de grands rapports de sens et de forme avec celui de Melchisédek, Adonitsédek (seigneur de justice).

      Cette ville était sur le chemin que devait suivre Abraham en revenant de Dan à Hébron ; c'était là que Lot devait le quitter pour rentrer dans la plaine du Jourdain ; et c'était là aussi que le roi de Sodome devait aller l'attendre s'il désirait le voir au passage. Salem est probablement le plus ancien nom de cette ville. Il signifie paix, sécurité, parce que sa position la rendait presque imprenable (2Samuel 5.6). Les Jébusiens lui donnèrent le nom de leur tribu, celui de Jébus, que David changea en celui de Jérusalem, possession de paix. La vallée du Roi était sans doute une plaine voisine de cette ville.

      Dieu Très-Haut, en hébreu : El-Eliôn. Ce nom, qui se retrouve Psaumes 57.3 ; 78.35, etc., est le même que Elioun, qui, d'après Eusèbe, désignait chez les Phéniciens le dieu suprême, celui qui a donné l'être à Uranus et à Gaïa (le ciel et la terre). C'est bien le dieu unique, et non pas seulement un dieu supérieur aux autres, que Melchisédek adore sous ce nom, puisque Abraham peut l'identifier avec Jéhova (verset 22).

      19

      19-20 Comme toujours dans les formules de bénédiction, le langage prend la forme du parallélisme poétique. D'abord (verset 19), Melchisédek souhaite à Abraham les bénédictions divines ; puis (verset 20) il remonte à la source de ces bénédictions et bénit Dieu de ce qu'il a accordé la victoire à Abraham.

      Qui a fondé les cieux et la terre. Le mot traduit par fonder est le même (kana) qui a été expliqué 4.1. On traduit quelquefois par possesseur ; mais ce sens n'est que, dérivé.

      A l'ouïe de cette bénédiction, Abraham reconnaît en celui qui la prononce un prêtre du vrai Dieu ; et aussitôt il lui offre, à ce titre, et par là à Dieu lui-même, la dîme de tout le butin.

      21

      21-24 Rencontre avec le roi de Sodome

      Le roi de Sodome abandonne le butin à Abraham ; il reconnaît par là le service que celui-ci lui a rendu.

      22

      J'ai levé ma main. C'est un serment qu'Abraham avait fait probablement au moment même où il se mettait en campagne. Ce qui l'a poussé à faire un tel vœu, ce n'est pas seulement son désintéressement, c'est aussi sa volonté arrêtée de n'avoir rien de commun avec les gens de Sodome.

      23

      Si je... Tournure elliptique ; il faut sous-entendre : que dans ce cas Dieu me maudisse !

      D'un fil à une courroie... Ce qu'il y a de, moins précieux ; à plus forte raison ce qui a plus de valeur.

      24

      Abraham réserve seulement les vivres consommés par ses 318 serviteurs et par ses alliés et la part du butin qui revient à ces derniers. Il n'a pas le droit d'imposer à d'autres son désintéressement.

      Ce récit remarquable réhabilite en quelque sorte le caractère d'Abraham, si compromis par sa conduite en Egypte. On le voit, ces récits nous présentent l'homme tel qu'il est, avec ses bons et ses mauvais côtés. Mais il y a ici quelque chose de plus grand et de plus solennel : en la personne de Melchisédek et d'Abraham nous voyons l'ancienne croyance au vrai Dieu bénir et comme installer ici-bas, au moment de disparaître, le particularisme théocratique qui doit la relever et la maintenir durant le règne de l'idolâtrie, jusqu'au moment où elle se répandra sous la forme de l'Evangile dans le monde entier.

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